Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/118

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À mi-hauteur on passe sous le ventre énorme dune falaise qui déborde, comme prête à s’écrouler, puis le chemin est creusé à même le roc, et l’on monte, l’on monte encore, et soudain surgit la carcasse d’une porte, flanquée de courtines rongées par le temps : c’est l’entrée de la première enceinte.

J’en franchis le seuil et me promenai à travers le vaste plateau où s’élevait jadis la ville de Buoux. Les bords en sont taillés à pic sur l’abime. Il est tout hérissé de ruines. La bruyère le parfume violemment. Et, tout autour, le chaos.

On dirait qu’un dieu, du soc énorme de sa charrue, a creusé dans la plaine un sillon formidable, large de trois cents mètres, et d’un circuit d’une lieue, et qu’au centre il a laissé ce bloc de granit où des hommes ont entassé leurs forteresses. C’est à la fois harmonieux et désordonné, l’œuvre du hasard et la conséquence d’un plan très logique.

Mais sur une partie du plateau s’érige un sommet plus élevé. Les ruines s’y pressent plus nombreuses et plus puissantes. Trois ceintures de remparts le cerclent, étagées les unes au-dessus des autres. Et je franchis le seuil de la seconde porte. Elle est basse et charmante en sa forme d’ogive trapue. Un buisson d’aubépine la décore. El la troisième est plus imposante avec ses restes de machicoulis et de pont-levis. Mais sur quoi ouvraient-elles, sur quelle chose inattendue et en dehors de toute prévision ?

Car je ne doutais pas que quelque chose fût à l’extrémité de mon chemin, qui guettait mon arrivée, qui était placé là parce que j’y devais venir, et pour nulle autre raison. Mon rêve imaginait… quoi ? Je ne sais au juste… le génie de ces vieilles demeures, un fantôme, un revenant ?… Et je franchis le seuil de la quatrième enceinte.