Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/194

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Le monsieur vint à moi. Petit, gros, orné du ventre prévu, rouge de figure, l’air bonasse, vêtu de toile grise et de flanelle de pin, il enleva sa casquette et me dit :

— Vous semblez chercher quelqu’un ?

M. Fumeron et sa dame.

— Moi-même, s’écria-t-il. Alors-vous êtes des nôtres pour ce voyage ?

— Si vous le permettez…

— Comment donc ! Malheureusement je ne puis vous offrir la bande joyeuse qui s’était jointe à nous, l’an dernier ; aucun de nos amis n’a osé s’aventurer si loin. Je vais vous présenter à notre unique compagne. :

— Madame Fumeron, née La Couche ?

— En personne.

Cette fois mes prévisions n’étaient qu’à moitié justes. Madame Fumeron portait bien de vastes culottes de zouave, pas très élégantes de coupe, mais les chevilles qui s’en échappaient étaient fines, le buste qui les surmontait avait des lignes fort gracieuses, et, par dessus tout cela, souriait un visage sympathique, très frais, aux joues saines et appétissantes, aux lèvres rouges et bien dessinées.

Aussitôt je modifiai mon plan. M. Fumeron serait, comme je l’avais décidé, l’objet de mes railleries, mais il s’ajouterait aux ridicules déjà si nombreux du bonhomme le ridicule tout spécial du mari dont on courtise la femme, et cela sous son nez, avec tous les raffinements que comporte ce genre d’exercice.

Quant à l’issue de ma tentative, elle n’était pas douteuse. Une jeune femme que la nature a gratifiée d’autant de charmes et d’un époux aussi absurde n’est pas l’ennemie déclarée du monsieur qui lui vante ses charmes et lui souligne l’absurdité de son mari. Je réussirais.

Et, de fait, dès l’abord, on s’entendit à merveille. M. Fumeron, qui avait accumulé sur sa bicyclette un attirail de campement et des vêtements pour une expédition hivernale, allait à petite allure. Nous, nous filions en avant. Deux ou trois fois cependant, à mon grand désespoir, elle ralentit, et elle s’excusait auprès de lui de ne pas l’avoir attendu.