Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/228

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On n’a pas l’impression qu’elle roule, qu’elle est adhérente à la terre, mais qu’elle se meut à une certaine distance du sol. Et de là vient qu’on ne redoute pas trop un écart de cette chose, tellement il semble qu’elle est indépendante de celui qui la conduit, de ce fragile petit être dont le cerveau pourrait si facilement se détraquer et la main se raidir. Non, lui-même n’est qu’une partie de la chose, esclave comme elle, dirigé comme elle, et tout cela obéit à une volonté extérieure, à la puissance primitive qui l’a lancé comme le canon lance l’obus, et qui, de loin, le maintient, par des lois mathématiques, dans une direction rigoureuse, inflexible, dont il ne lui est pas permis de s’écarter.

On penserait plutôt, si l’on avait le loisir de penser, à la possibilité d’une explosion. À tel point déterminé de son vol, ou par suite d’accident, la chose éclaterait, comme éclate l’obus. Et l’angoisse nous étreint. Il va se produire un événement, une catastrophe. Il n’est pas admissible que rien ne se produise…

Mais rien ne s’est produit, ni cette fois ni les autres. On respire plus à l’aise. Le programme s’interrompt un instant. Il y a de la joie encore, et des rires, et des exclamations. À l’extrémité des tribunes, une musique joue un air d’allégresse. Des officiels se promènent sur la route soigneusement goudronnée, couleur d’asphalte.

Et{out à coup, une rumeur lointaine… Le bourdonnement des voix s’apaise… On se regarde. C’est le silence anxieux, qui précède l’orage, quand un peu de vent s’élève et remue les feuilles des arbres. Qu’y a-t-il ? Quelqu’un sait peut_être ? On devine un mouvement du côté de l’Ouest, à l’endroit où la foule est moins compacte, et où les gens peuvent voir ce qui se prépare en dehors de la fête… la menace du danger… le danger… mais quoi ? On entend un grondement…