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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LA PLUS FORTE

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— Certes non, s’écria Gérard, les femmes ne sont pas sportives au sens ordinaire du mot, au sens pour ainsi dire extérieur, ornemental et frivole. Mais combien elles le sont plus que nous si ce mot signifie courage physique, endurance, tenacité, énergie indomptable ! Qu’une femme se trouve en présence d’événements qui la menacent, qui l’attaquent par exemple au plus profond de sa vie sentimentale, dans sa tendresse de mère, dans son amour d’amante ou d’épouse, vous la verrez mettre en action des qualités vraiment stupéfiantes d’audace et de sang-froid, et déployer une force, oui, une force musculaire proportionnellement beaucoup plus grande que la force déployée par l’homme dans un effort sportif.

Écoutez ceci. L’histoire est d’hier, presque, et scrupuleusement véridique. Je vous la raconterai sans détails, de la façon très sobre et très précise dont elle se passa.

Donc je revenais de Dieppe en chemin de fer, par la ligne de Pontoise. J’étais seul. Il faisait chaud, j’avais baissé les deux glaces. À Gisors le train s’arrête quelques minutes. Un monsieur monta, jeune, élégamment vêtu, de visage peut-être un peu dur, mais beau et régulier.

M’en ayant demandé la permission, il alluma une cigarette, puis déplia un journal qu’il se mit à lire.

Le train siffla. Au moment même où il s’ébranlait, la portière s’ouvrit brusquement et une femme se précipita dans notre compartiment.

— Vous ! s’écria le jeune homme, vous ! mais c’est de la folie…