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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/292

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Le comte nous avait rejoints. Il me dit : — Je vous présente ma fille, Monsieur, une petite personne un peu romanesque, qui se plaît beaucoup dans les vieux donjons, où elle imagine de belles aventures, des enlèvements. Le dernier conte de fées qu’elle avait lu l’avait beaucoup frappée, et nous savions qu’elle attendait avec impatience la venue de l’Oiseau bleu.

Irrité de ce persiflage, je fus près de lui tourner le dos. La rage, la déception me retinrent.

— En ce cas, Monsieur, je dois vous rendre ce portrait qui ne m’appartient pas.

Il examina le portrait et s’écria :

— Tu as donc bien peu confiance en tes charmes, Élisabeth, que tu empruntes ceux de ta mère pour enflammer le zèle de tes soupirants ?

À son tour, la compagne du comte se dévoila. C’était bien l’admirable femme que représentait la photographie.

Je la saluai respectueusement, prononçai quelques mots d’excuse, et m’éloignai.

Il y a cinq ans de cela. J’ai voyagé. Bien souvent mes rêves ont évoqué une image radieuse. Ce n’est point celle d’Élisabeth, ni celle de sa mère, mais une image qui tient de l’une et de l’autre.

Le mois dernier, un invincible attrait m’a ramené.

Chaque jour, je passe sous la vieille tour. Hier, comme jadis, un paquet me fut lancé. Entre deux cartons, c’était un portrait. Le voici devant moi. C’est le portrait d’Élisabeth, mais d’une Élisabeth grave et magnifique. C’est aussi celui de sa mère, mais si jeune, si fraîche, si souriante !

Et je pense avec émotion que tous les jours maintenant rapprocheront Élisabeth davantage de mon rêve, et que l’enfant que j’ai ravie est devenue la femme que j’aime depuis cinq ans…

Maurice LEBLANC.