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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

AU FOND D’UN CŒUR

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La comtesse Berthe donnait ses ordres avec tant de bonne grâce, il y avait en elle une telle douceur, un charme si simple et si profond, car après quatre mois de service chez les de Graneuse, comme mécanicien, Étienne s’aperçut qu’il était infiniment plus heureux qu’il n’eût dû l’être. Il ne rendait pas un compte exact de ce qu’il éprouvait, ni ne cherchait à le préciser. De l’amour ? Il eût bien ri si l’on eût prononcé ce mot pour expliquer ses sentiments. C’était beaucoup moins, et combien plus à la fois ! C’était la joie de la voir, l’espérance qu’un jour il aurait l’occasion de se dévouer à elle, de la sauver de quelque grand péril.

Et en son imagination de brave garçon, un peu naïf, mais si honnête et si respectueux, il se laissait aller à des rêves magnifiques où la comtesse lui demandait le sacrifice de ses gages, de ses économies, de sa vie elle-même, et où il immolerait tout cela comme des choses insignifiantes, en souriant.

Et quel plaisir d’être celui qui la conduisait de porte en porte, dans ses courses et ses visites ! Comme il était fier de cette mission de confiance ! Et comme il sentait le poids effroyable de la responsabilité qui lui incombait ! La comtesse était là, près de lui, dans le cadre luxueux et capitonné du landaulet. À travers les encombrements et les pièges de la rue, ils glissaient, tous deux seuls, l’un près de l’autre. Il avait la garde de cette existence précieuse. Par excès de prudence il évitait les tournants brusques et les allures trop vives. Le soir, quand il la ramenait devant le perron de l’hôtel, il ne doutait point que, grâce à lui, elle n’eût échappé aux pires catastrophes.

Vie délicieuse ! Le matin, dès l’aurore, il faisait la toilette de sa voiture. Son collègue, attaché spécialement au service du comte, se moquait de son zèle. Que lui importait ! Il était heureux.