Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/322

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Parfois je suis près d’arrêter. N’est-ce pas un sacrilège ce que je fais là ? Mais non, mais non, il n’est pas possible d’agir autrement. Alors ?

Et nous allons. Deux, trois kilomètres. Toujours personne dans les champs.

Mais un chemin se présente sur la droite, un chemin qui file entre deux rangées d’arbres, et qui descend dans une vallée étroite. Le cheval s’y engage de lui-même. Nul doute : c’est de Le côté que se trouve la maison, le château…

Et de fait les arbres se multiplient, disposés en quinconces, bien taillés. Des toits apparaissent au loin. J’ai peur…

J’ai peur, car bientôt j’arriverai, il me faudra annoncer la chose. Et comment l’annoncer ? Au moyen de quelles phrases, douces, fuyantes, mensongères, mystérieuses, de ces phrases qui font pressentir l’atroce vérité et donnent le frisson du malheur.

La route aboutissait à la grille d’un parc. Un sentier la traverse à cent pas de cette grille, et par ce sentier quelqu’un passa qui ne me vit point.

Je l’appelai, puis, sautant de voiture, me jetai à sa poursuite.

Il s’arrêta. C’était un homme encore jeune, en tenue de chasse, le fusil sur l’épaule.

Tout haletant je lui dis :

— Monsieur, je vous en prie, tirez-moi d’embarras… J’ai recueilli sur la grand’route une dame, une jeune fille… je ne sais qui elle est… où la conduire…

— Une jeune fille ?

— Oui… tombée de cheval.

— Blessée peut-être ? Morte ?

— Oui, morte… Mais venez… suivez-moi.

Je partis en courant vers la voiture. Mais il me devança. Qu’avait-il à se hâter de la sorte ?

Un soupçon horrible me saisit.

Il bondit sur le marchepied, souleva le