Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il lui semblait qu’elle avait peut-être enfin le droit d’espérer. Pierre avait été gravement malade de la poitrine. Pierre avait perdu beaucoup de ses forces, et, autant par affaiblissement de santé que par amour pour sa mère, il avait renoncé à toute espèce d’exercice.

Et puis, il avait peur, lui aussi, peur de l’année fatale qui approchait, peur de l’horrible destin…

Ils passèrent l’hiver à Beaulieu, dans une propriété que baignait l’eau de la Méditerranée.

De temps à autre, pour toute distraction, Pierre allait à Monte-Carlo. Il y jouait, il s’y promenait.

Une après-midi, la comtesse était étendue sur une chaise-longue, au bout du joli jardin qui domine la mer. Elle regardait rêveusement un canot automobile qui piquait vers Beaulieu, en coupant les vagues, des vagues assez méchantes.

Le canot s’approcha. Il portait trois hommes. L’un d’eux agita son mouchoir. Elle reconnut Pierre. Au même moment, il y eut comme un coup de vent, qui secoua la mer… Le canot plongea, disparut…

La comtesse ne poussa pas un cri. Elle ferma les yeux, pour ne pas voir, pour ne pas voir ! Puis elle s’enfuit, courut sur la grand’route, courut jusqu’à la gare.

Un train passait. Elle y monta.

On ne l’a plus revue. On ne sait où elle est. On ne sait rien d’elle. Quelque part, dans un coin du monde, elle cache sa douleur, elle vit avec ses morts.

Et il y a quelque chose de plus terrible, que tout cela, auprès de quoi je trouve la mort de ce mari et la mort de ces fils des événements presque naturels, quelque chose qui donne au destin de cette femme une grandeur farouche, unique, sacrée, surhumaine. Il y a ceci : Pierre n’est pas mort, Pierre a été sauvé, et sa mère ne le sait pas !…

Maurice LEBLANC.