Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/375

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Je crois que la profonde satisfaction que j’éprouvai en voyant cet immédiat et juste châtiment contribua fort à me remettre d’aplomb sur mes jambes et à cicatriser radicalement les égratignures que j’avais pu me faire. C’était vraiment délicieux de rentrer ainsi en possession de ma chère bicyclette. Pourvu qu’elle ne fût pas brisée !

Elle ne l’était pas, je m’en rendis compte tout d’abord. Je n’avais donc plus qu’à l’enfourcher à mon tour et à filer.

Le désir légitime d’ajouter ma correction personnelle à celle que le destin avait infligée à mon voleur me porta vers lui.

Il gisait sans mouvement. Mais je pus m’assurer aussitôt qu’il n’était pas évanoui. À mon approche il ouvrit les yeux et prononça :

— Soyez tranquille, je ne chercherai pas à m’échapper. Pour sûr, j’ai la jambe cassée… la droite…

Je touchai sa jambe. Il poussa un cri et devint d’une pâleur mortelle. Je lui dis :

— C’est bien. Je vais aller jusqu’à Grandpré et avertir la gendarmerie. On enverra sans doute une charrette.

Il ne répondait pas. Je m’éloignai et relevai ma machine. Pourtant je ne partis point. Non. Cela m’eût été absolument impossible. Ce n’est pas pour si peu qu’on livre à la justice un enfant de vingt ans — il devait avoir à peu près cet âge.

Oh ! certes, ma bicyclette m’eût été dérobée qu’aucun châtiment ne m’eût paru assez rigoureux pour un tel crime. Mais elle était là, je la tenais. N’ayant donc subi aucun dommage, rien ne s’opposait à ce que je fusse indulgent.

D’autre part, je ne pouvais pas le laisser là sur la route, blessé, sans soins. Que faire ? Des soins, j’étais incapable de lui en donner.

Je l’interrogeai. Il me dit qu’il habitait au hameau de Fougron, deux kilomètres avant Grandpré. Son père était garde-barrière. Lui, il travaillait au village.

— Et tu voles les bicyclettes ?

— Oh ! fit-il, j’en avais tellement envie d’une !