Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/393

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Ses partisans, lui-même, alléguèrent un déclin de forme. Peut-être. L’excuse était plausible. N’empêche que ce Laborde était extraordinaire, moins puissant que Bardin, mais plus fin, plus délié, et doué d’une pointe de vitesse contre laquelle il semblait que rien ne pouvait prévaloir.

Un peu plus de sang-froid et une meilleure tactique, et Laborde battra Bardin, comme il voudra, tel fut l’avis des plus compétents, de Bernan-Tristard, par exemple.

— Ce sera le coureur national de l’an prochain, opina Polamelle.

Anselme ne dérageait pas. Du jour au lendemain, il se prit à haïr Laborde d’une haine féroce. Certes, il l’eût rencontré en quelque endroit solitaire qu’il se fût jeté sur lui. Il lui refusa la main. Il ne le salua plus.

Au fond, malgré son immense vanité, et quoiqu’il ne voulût pas se l’avouer, il avait senti la valeur réelle de son concurrent. Et il avait peur. Il ne croyait plus à sa supériorité. La fortune lui échappait.

Tout le mois de décembre et le mois de janvier, il les passa chez lui, malade. Et vers le commencement de février une nouvelle stupéfiante se répandit dans le petit monde des coureurs : Juliette, la femme de Bardin, s’était enfuie avec Laborde. Elle l’accompagnait en Algérie et sur la Côte d’Azur, où divers engagements le sollicitaient.

La conduite d’Anselme étonna tous ceux qui connaissaient sa nature vindicative et violente. Il ne demanda pas le divorce. Il ne poursuivit pas les coupables. Il continua de vivre comme par le passé. On aurait dit que ce départ était pour lui comme non avenu.