Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/397

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L’événement prouva le bien-fondé de ces craintes. Le jour de ses examens, Horace disparut. Le soir, son père apprit qu’il avait disputé sur le mail une course de bicyclettes.

M. Lesuper n’hésita point. Il maudit son fils à l’aide des imprécations antiques les plus célèbres. Horace ne put sans doute supporter le poids de tels outrages. Dans la nuit, il s’enfuit de la maison paternelle, emportant la somme de trois francs soixante, et laissant un mot d’éternel adieu.

— Je n’ai plus de fils ! s’écria M. Lesuper

Il n’eut plus de fils. Il n’eut plus personne dans la vie, et la vie lui fut très lourde.

C’est une occupation très importante que de morigéner l’être qui prend ses repas en face de vous, de lui tenir des discours sur sa paresse et son insouciance, et de lui citer en exemple les héros de Plutarque. Privé de cette distraction, M. Lesuper sentit le vide de son existence. Bien souvent son cœur se gonfla d’amertume.

Deux ans, trois ans se passèrent dans la solitude. Puis survint une catastrophe. Le banquier chez lequel il avait placé toutes ses économies s’enfuit. Sur ses conseils, M. Lesuper avait engagé quelques spéculations. Ce fut la ruine. Il dut prélever chaque année sur son traitement de professeur pour payer ses dettes.

Et la vie s’écoula, étroite, mesquine, morose, sans sourire ni joie.

Un à un il vendit ses livres, ses chers livres enrichis de notes. Quelle tristesse !

Et un jour il reçut de Bordeaux une lettre chargée qui contenait un billet de cent francs et ces lignes écrites par son fils :