Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/419

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Le dimanche, par exemple, je reconquérais mon droit de possession et d’usage. Quelquefois aussi, dans la semaine, je descendais à pied à Bruchy, prenais notre bicyclette à l’usine, faisais une promenade, et l’ayant ramenée consciencieusement, remontais à pied vers Ambrumesnil.

J’étais vraiment heureux. Je n’ai jamais pu voir un ouvrier sur une bicyclette sans que les larmes me vinssent aux yeux. C’est un attendrissement de précurseur, une émotion d’homme qui a tiré de cet instrument ses plus grandes joies, et qui voudrait que ces joies fussent goûtées par tous : par l’ouvrier, par le paysan, par le plus humble de ses frères. Il lui semble que c’est autant d’heureux qu’il rencontre, et qu’il n’est point tout à fait étranger à ce bonheur.

Je restai quinze jours de plus que je ne le voulais à la campagne, vingt jours, trente jours. Je ne pouvais me résoudre à les priver de ma bicyclette. C’eût été mal, vraiment mal ; c’eût été cruel.

Et je ne m’y décidai qu’après avoir convaincu Victor et Georges — au prix de quels efforts ! — de faire, eux aussi, l’acquisition d’une machine. Ils en achetèrent une, puis deux. Et mes quatre autres amis, entraînés par l’exemple, en achetèrent, également quatre.

Il serait plus juste de dire que ce fut moi qui les achetai. Oh ! une simple avance… Mes moyens ne me permettent pas davantage. Je leur avançai donc le premier versement. Pour le reste, ils devaient le payer à tempérament, en vingt mois. Mais j’étais responsable.

Eh bien ! je vais vous dire une chose qui vous étonnera beaucoup : il y a un an de cela ; or, depuis un an, les douze