Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/466

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— Eh bien, vrai, mes bons amis, voilà de la belle besogne !

— Que voulez-vous dire ? demanda Mme Lucre d’un ton furieux.

— Moi ? rien… je constate.

M. Chanfrein prit la parole :

— Voyons, Antoine, m’expliqueras-tu d’où vient ce marmot ?

— Je te jure, papa…

— Mais il ne s’agit pas de jurer. Parbleu, on ne vous accuse de rien… Seulement, nous voudrions savoir…

— Mais je ne sais pas… je n’ai quitté la voiture que pendant la messe, près de l’église.

— Et au retour ?

— Nous n’avons rien vu… rien entendu, n’est-ce pas, mademoiselle ?

Elle ne répondit pas. Elle contemplait l’enfant d’un air étonné, et l’enfant, bien au chaud, apaisé, se mit à lui sourire de sa large bouche vide. Adrienne alla lui chercher un peu de lait. Elle le fit boire, et elle ne cessait de le regarder, et dans on cerveau de jeune provinciale qui n’avait jamais réfléchi aux grands mystères et à qui la légende des houx où l’on trouve les petits enfants suffisait amplement, germait confusément l’idée de liens indéfinissables entre elle et cet enfant inconnu, surgi des ténèbres, une nuit de Noël…

L’aventure fit beaucoup de bruit. On potinait ferme tout alentour. Cela ne paraissait pas très clair, cette histoire d’escapade nocturne, de messe, d’automobile en panne, et d’enfant recueilli on ne savait où. Évidemment on ne pouvait rien supposer… mais enfin… bref une jeune fille dont on parle trop est une jeune file compromise. Il fallut aviser.

Trois mois après, Mlle Lucre épousait Antoine Chanfrein. Le jour suivant on baptisa le jeune Noël Chanfrein, leur fils adoptif.

Maurice LEBLANC.