Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/471

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Le dernier coup de minuit sonna à l’église du village.

La porte grinça sur ses gonds rouillés.

— Louis ?

— C’est vous ?

— Me voici.

Il reçut dans ses bras une forme frissonnante, et il effleura de sa moustache mouillée par la brume glacée des boucles de cheveux fins et odorants.

— Vous ! vous ! Ah ! quelle joie surhumaine ! Comment avez-vous pu consentir ?…

— L’automobile ?

— À cent pas, derrière le pavillon abandonné.

Ils y coururent.

Dans l’ombre un homme s’agita. Dans le silence un bruit gronda.

— Vite, chère amie, les minutes valent des siècles.

Ils montèrent. Et Louis Colange dit au chauffeur :

— Cinq cents francs si vous arrivez à la frontière belge au lever du jour.

La voiture bondit.

— Enfin ! s’écria le jeune homme triomphant, enfin ! rien ne peut plus nous séparer ! Rien ne peut plus arrêter notre course…

Si, quelque chose pouvait l’arrêter : un éclatement de pneumatique. Et la malchance voulut que cette catastrophe se produisit.

À la lueur des phares il fallut réparer. La comtesse ne bougea point de la limousine bien chaude, mais Louis Colange se mit vaillamment à la besogne sous l’aigre bise du nord.

— Mille francs pour vous, chauffeur, si nous arrivons…

Il reprit sa place auprès de la comtesse. On fila, et dès qu’il fut parvenu à dompter le claquement de ses dents, il se précipita à genoux avec des transports exaltés.

— Nous commençons la vie ! Il faut bien vous dire que le passé est mort, et que c’est un avenir adorable et rayonnant qui s’ouvre… Sapristi !