Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/52

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— Pardonnez-moi, j’ai obéi à une impulsion irréfléchie, et maintenant ma démarche me semble si déplacée… que je n’ose plus…

— Une femme peut toujours oser, lui dis-je, assez embarrassé moi-même.

— Eh bien, voilà. Je n’ai jamais été en automobile, et je voudrais… oh ! une petite promenade seulement, si cela ne vous dérange pas trop… Est-ce très indiscret ?

Pas une seconde je ne songeai à une aventure. Elle avait un air de distinction trop réel et des manières trop réservées, pour qu’on la pût suspecter d’autre chose que d’une inconséquence fortuite, d’une fantaisie soudaine d’honnête femme.

Elle-même d’ailleurs précisa :

— Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas. Si vous y consentez, nous ne chercherons pas à en savoir davantage l’un sur l’autre. Aucune parole ne sera prononcée. La conversation est toujours un effort entre deux êtres qui ne se sont jamais rencontrés. À quoi bon nous l’imposer, cet effort ?… Une heure ou deux de silence, et à grande vitesse, oh ! à très grande vitesse… pour que j’aie bien peur… voulez-vous ?

Je m’inclinai et lui dis :

— Dans trois heures, madame, je vous ramènerai ici.

Elle accepta ma main pour monter. Nous partîmes.

Suresnes, Saint-Germain, Eragny, Pontoise, les charmantes vallées de la Viosne et de la Troëne, et Chaumont-en-Vexin, et Méru… les villes et les villages accouraient à notre rencontre comme des cités mouvantes, et s’immobilisaient soudain derrière nous, comme des choses dédaignées et semées en route. Et les bois, et les plaines, et les rivières, et les collines, tout cela s’éveillait à notre approche, et nous montions, et nous descendions avec la sensation vague d’être bercés par le rythme secret de la terre qui respire. Vie adorable et puissante !