Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans un mot, il m’entraîne dans la nuit profonde, sous les étoiles claires, et que je m’abandonne, humble, soumise, inconsciante, vaincue…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ma Thérèse chérie, je t’écris d’une auberge où il m’a conduite une heure plus tard. Je ne l’ai pas vu depuis hier soir, et je me demande maintenant si je n’ai pas fait un rêve, oh ! un rêve dont je ne puis renier la douceur infinie. Nous avons été fous tous deux, moi peut-être plus encore que lui. Mais pourrai-je jamais comprendre ? Ai-je obéi à un sentiment antérieur qui m’attachait à lui à mon insu ? Ou bien ne dois-je pas chercher d’autres causes que les sensations nouvelles qui m’ont troublée, anéantie, rendue incapable de toute résistance, les sensations formidables que j’ai voulu t’écrire pour que tu m’excuses, pour que tu me comprennes, au moins, toi !

Je l’attends. Il va venir, cet homme que je connais à peine et qui est mon maître. Qu’est-il ? Quelle est sa nature, quels sont ses goûts et ses désirs ? Est-ce un destin de souffrance et d’angoisse qu’il m’apporte, ou de joie, de bonheur et d’amour ? Hélas ! je ne peux même pas dire qu’il m’aime, puisque c’est par une impulsion de hasard, un geste irréfléchi qu’il m’a conquise… Et cependant, après, durant cette course invraisemblable, pourquoi m’a-t-il regardée si attentivement ? Quelle vision radieuse s’est-il formée subitement de moi et de notre avenir commun, et quelle certitude magnifique a-t-il découverte en lui, pour montrer tant d’audace, tant d’énergie et tant de volonté ?

Le voici. Il frappe à ma porte. Il entre… Thérèse ! Il est à genoux, ses mains se joignent respectueusement… Oh ! Bertrand, Bertrand…

Maurice LEBLANC