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Au Havre, son domestique qui avait voyagé dans le même train que nous se trouvait déjà à la portière de notre compartiment. C’était un monsteur que ce domestique, bien habillé, ganté de frais, chaussé de bottines vernies. Il traita son maître d’Excellence et lui tendit le poing pour l’aider à descendre.

Mon compagnon de voyage tira de son portefeuille une carte de visite et me la tendit en disant :

— Eh bien, c’est entendu, dans deux jours j’irai vous voir à Montivilliers, villa des Ifs, n’est-ce pas ? et vous tâcherez de me persuader.

L’ayant quitté, je lus sa carte : Prince Metcherski.

— Allons, pensai-je, l’affaire est faite.

Et je me frottai les mains, car, en vérité, si l’affaire n’avait pas été faite, je ne sais trop comment j’en serais sorti. Dépenses exagérées, pertes aux courses et au baccarat, enfin, folies de jeunesse… j’étais, comme on dit, à la côte. Aussi le prince Metcherski m’apparaissait-il comme un sauveur. Quant à employer la somme que me rapporterait la vente de ma vingt-quatre chevaux à l’achat d’une cinquante, comme je l’avais laissé entendre, inutile de dire que je n’y songeais même point.

Et j’attendis. Un jour se passa, puis deux, puis trois. Je commençais à être inquiet. Mais le quatrième jour, une voiture s’arrêta devant la villa des Ifs. Le prince en descendit, accompagné de son domestique.

Il paraissait fort bien disposé et, après un tour dans le jardin, dont il ne sembla point remarquer le mauvais état, il admira beaucoup ma demeure, ce qui m’embarrassa, car elle avait beaucoup perdu à mes yeux depuis qu’elle était hypothéquée. Enfin le prince s’écria :

— Si on allait la voir ?

Et nous allâmes la voir.

Un hochement de tête et un petit claquement de langue me prouvèrent que, si le prince ignorait les rouages d’une machine, il en savait du moins apprécier à leur juste valeur l’élégance, la finesse et les proportions harmonieuses.