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si tendres encore, que ne rayait la cicatrice d’aucune ride ! et des yeux bleus, d’un bleu de ciel oriental…

Minuit… les douze coups tragiques de minuit, auxquels tant de désespérés ont accroché la dernière seconde de leur existence !

Au douzième, il se dressa de nouveau, et bravement, cette fois, sans trembler, regarda la corde sinistre. Il essaya même un sourire, pauvre sourire, lamentable grimace du condamné que la mort a déjà saisi.

Rapidement, il monta sur la chaise et prit la corde d’une main.

Un instant il resta là, immobile, non point qu’il hésitât ou manquât de courage. Mais c’était l’instant suprême, la minute de grâce que l’on s’accorde avant le geste fatal. Il contempla la chambre infâme où le mauvais destin l’avait acculé, l’affreux papier des murs, le lit misérable.

Sur la table, pas un livre : tout avait été vendu. Pas une photographie, pas une enveloppe de lettre ; il n’avait plus ni pére, ni mère, plus de famille… Qu’est-ce qui l’attachait à l’existence ?

D’un mouvement brusque, il engagea sa tête dans le nœud coulant et tira sur la corde jusqu’à ce que le nœud lui serrât bien le cou.

Et, des deux pieds renversant la chaise, il sauta dans le vide.


III


Dix secondes, quinze secondes s’écoulèrent, vingt secondes formidables, éternelles…

Le corps avait eu deux ou trois convulsions. Les jambes avaient instinctivement cherché un point d’appui. Plus rien maintenant, ne bougeait.

Quelques secondes encore… La petite porte vitrée s’ouvrit.

Sernine entra.

Sans la moindre hâte, il saisit la feuille de papier où le jeune homme avait apposé sa signature, et il lut :

« Las de la vie, malade, sans argent, sans espoir, je me tue. Qu’on n’accuse personne de ma mort.

« 30 avril. — Gérard Baupré. »

Il remit la feuille sur la table, bien en vue, approcha le chaise et la posa sous les pieds du jeune homme. Lui-même, il escalada la table et, tout en tenant le corps serré contre lui, il le souleva, élargit le nœud coulant et dégagea la tête.