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Chapitre III

La Carte de l’Europe


I


Sur un large balcon de bois, assis devant une table, un jeune homme écrivait.

Parfois, il levait la tête et contemplait d’un regard vague l’horizon de coteaux où les arbres, dépouillés par l’automne, laissaient tomber leurs dernières feuilles sur les toits rouges des villas et sur les pelouses des jardins, puis il recommençait à écrire.

Au bout d’un moment, il prit sa feuille de papier et lut à haute voix :


Nos jours s’en vont à la dérive,
Comme emportés par un courant
Qui les pousse vers une rive
Où l’on n’aborde qu’en courant.

— Pas mal, fit une voix derrière lui ; Mme Amable Tastu n’eût pas fait mieux. Enfin, tout le monde ne peut pas être Lamartine.

— Vous ?… vous ?… balbutia le jeune homme avec égarement.

— Mais oui, poète, moi-même, Arsène Lupin, qui vient voir son cher Pierre Leduc.

Pierre Leduc se mit à trembler, comme grelottant de fièvre. Il dit à voix basse :

— L’heure est venue ?

— Oui, mon excellent Pierre Leduc, l’heure est venue pour toi de quitter, ou plutôt d’interrompre la molle existence de poète que tu mènes depuis plusieurs mois aux pieds de Geneviève Ernemont et de Mme Kesselbach, et d’interpréter le rôle que je t’ai réservé dans ma pièce… Une jolie pièce, je t’assure, un bon petit drame bien charpenté, selon les règles de l’art, avec trémolos, rires et grincements de dents. Nous voici arrivés au cinquième acte, le dénouement approche, et c’est toi, Pierre Leduc, qui en es le héros. Quelle gloire !

Le jeune homme se leva :

— Et si je refuse ?

— Idiot !