Page:Leblanc - 813, paru dans Le Journal, du 5 mars au 24 mai 1910.djvu/56

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À diverses reprises, il le répéta, le chiffre, et il ajoutait :

— Parlez sans crainte… je suis un ami… c’est pour vous défendre que j’insiste, pour vous sauver… répondez, il le faut.

À chacune des paroles, l’effort du malade se précisait. Il se souleva sur ses bras soudain raidis, et balbutia des mots inintelligibles, qui paraissaient plutôt des ébauches de mots, des mots qu’il essayait avant de trouver les mots définitifs que son obscure volonté cherchait à émettre.

De tout son être tendu, M. Lenormand épiait les sons hésitants, les guettait, s’en emparait comme d’une proie…

— Parle… parle… il faut parler… Tu vois, je suis un ami… je connais le chiffre… 813…

— 813, répéta la voix, faible comme un écho lointain.

Mais le malade n’avait pas prononcé ces trois chiffres qu’un grand frisson le secoua, et qu’une expression d’angoisse extrême bouleversa son visage. Ses yeux se fermèrent, son buste oscilla, et d’un coup, brutalement, sa tête retomba sur l’oreiller.

— Mort ! s’écria Gourel.

— Mais non… mais non, dit M. Lenormand qui avait posé sa main sûr la poitrine de l’homme… mais non, le cœur bat.

Il resta ainsi plusieurs minutes et conclut :

— Oui, le cœur bat… ça va mieux… seulement il n’y a plus rien à faire avec lui maintenant, il ne parlera pas.

— Il faudra bien…

— Non, laisse-moi, Gourel…

Il se leva et commença sa petite promenade habituelle à travers la chambre, courbé sur sa canne. De temps à autre, il s’arrêtait près de la fenêtre ou près d’un meuble quelconque et réfléchissait. Enfin il s’approcha du brigadier et lui dit :

— Écoute-moi, Gourel, écoute-moi bien. Je pars… Toi, tu vas rester là.

— Oui, chef.

— Je te le confie. Il dort… ne fais pas de bruit… ne le touche pas mais garde-le bien… Cet homme m’est plus utile que toutes les forces dont je dispose.

— J’en réponds sur ma tête, chef.

Tandis que Gourel faisait ses préparatifs pour passer la nuit auprès du malade, M. Lenormand quitta la chambre, se dirigea vers la loge, donna l’ordre à trois agents de surveiller la maison, leur enjoignit de ne laisser sortir personne sous quel prétexte que ce fût et de ne laisser personne entrer sans une raison dûment établie, et, ses précautions bien prises, il emmena son butin à la préfecture de police.