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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Lupin, violemment. — Eh bien, non !

Guerchard. — Ah !

Lupin. — Non. Tu veux m’avoir… tu me la fais… tu te fiches de Sonia, au fond… Tu ne l’arrêteras pas… Et puis même… tu l’arrêtes… soit ! j’admets… C’est pas tout d’arrêter, il faut prouver. As-tu des preuves ? Oui, je sais, le pendentif, eh bien, prouve-le. Non, Guerchard, après dix ans que j’échappe à tes griffes, me faire piger pour sauver cette petite qui n’est même pas en danger. Je refuse.

Guerchard. — Soit. (On sonne.) Encore… On sonne beaucoup chez toi ce matin. (À Boursin qui entre.) Qu’est-ce que c’est ?

Boursin.Mlle Kritchnoff.

Guerchard. — Ah ! Empoigne-la… Voilà le mandat… Empoigne-la…

Lupin, sautant à la gorge de Boursin. — Non, jamais, pas ça ! Ne la touche pas, nom de Dieu !…

Guerchard. — Alors, tu acceptes ? (Un grand silence. Lupin pâle, défait, s’appuie contre la table sans répondre, Enfin il fait un signe de tête. À Boursin.) Fais attendre Mlle Kritchnoff… (Boursin sort. Revenant vers Lupin.) L’acte de décès de Charmerace.

Lupin, tirant un papier du portefeuille. — Voilà !

Guerchard déplie vivement le papier.

Guerchard. — Enfin ! mais les tableaux ?… les tapisseries ?

Lupin, tirant un bout de papier plié. — Voilà le reçu.

Guerchard. — Hein ?

Lupin. — J’ai tout mis au garde-meuble.

Guerchard, jetant un coup d’œil sur le papier que lui a remis Lupin. — Le diadème n’y est pas ?

Lupin. — T’as un pied dessus.

Guerchard. — Quoi ?

Il se baisse, ouvre le petit banc et en retire le diadème.

Lupin. — Veux-tu l’écrin ? (Guerchard examine le diadème avec méfiance.) T’as le souvenir !

Guerchard, après avoir soupesé le diadème, et rassuré. — Oui… celui-là est vrai.

Lupin. — Si tu le dis !… Et maintenant, as-tu fini de me saigner ?

Guerchard. — Tes armes ?

Lupin, jetant son revolver sur la table. — Voilà.

Guerchard. — C’est tout. Qu’est-ce que tu as là ?

Lupin. — Un canif.

Guerchard. — Il est gros ?

Lupin. — Moyen.

Guerchard. — Fais voir !… (Lupin sort un énorme ccutelas.) Fichtre ! Et c’est tout ?

Lupin, fouillant ses poches. — Un cure-dents… Alors, ça y est ! j’ai ta parole !

Guerchard, sortant les menottes. — Tes mains d’abord.

Lupin. — Ta parole !

Guerchard. — Tes mains. Ah ! veux-tu la liberté de la petite, oui ou non ?

Lupin. — As-tu de la veine que je sois aussi poire, aussi peu Charmerace, aussi peuple ! Hein ! pour être aussi amoureux, faut-il que je sois peu homme du monde !

Guerchard. — Allons, tes mains.

Lupin. — Je verrai la petite une dernière fois ?

Guerchard. — Oui.

Lupin. — Arsène Lupin, pigé, et par toi ! Es-tu assez veinard ! Tiens ! (Il tend les mains. Guerchard lui met les menottes.) Veinard ! C’est pas possible, t’es marié !

Guerchard, goguenard. — Oui… oui… Boursin !… (Entre Boursin.) Mlle Kritchnoff est libre, dis-le-lui, et laisse-la entrer !

Lupin, sursautant. — Avec ça aux mains… jamais !… et pourtant… (Boursin s’arrête.) pourtant… j’aurais bien voulu… car si elle part comme ça… je ne sais pas quand, moi… Eh bien, oui, oui, je veux la voir… (Boursin et Guerchard passent dans l’antichambre.) Non, non…

Guerchard, qui n’a pas entendu, revient avec Sonia. — Vous êtes libre, mademoiselle. Vous pouvez remercier le duc. C’est à lui que vous devez cela.

Sonia. — Libre ! et c’est à vous ! c’est à lui !

Guerchard. — Oui.

Sonia, à Lupin. — C’est à vous ? Je vous devrai donc tout ! Ah ! merci, merci ! (Pour qu’elle ne voie pas ses menottes, Lupin se détourne. Sonia désespérée.) Ah ! j’ai eu tort, j’ai eu tort de venir ici, j’avais cru hier… je me suis trompée… pardon, je m’en vais…

Lupin, douloureux. — Sonia…

Sonia. — Non, non, je comprends, c’était impossible. Et si vous saviez pourtant, si vous saviez avec quelle âme transformée j’étais venue ici !… Ah ! je vous le jure maintenant, je vous le jure, tout mon passé, je le renie, et la seule présence d’un voleur me soulèverait de dégoût.

Lupin. — Sonia, taisez-vous !

Sonia. — Oui, vous avez raison. Peut-on effacer ce qui a été ! Je restituerais tout ce que j’ai pris, je passerais des années de remords, de repentir… à vos yeux, j’aurais beau faire, Sonia Kritchnoff, monsieur le duc, qu’est-ce que c’est ? C’est une voleuse.

Lupin. — Sonia !

Sonia. — Et pourtant, si j’avais été une voleuse comme tant d’autres… mais vous savez pourquoi j’ai volé. Je ne cherche pas à m’excuser, mais enfin, tout de même, c’était pour me garder intacte, et quand je vous aimais, ce n’était plus le cœur d’une voleuse qui battait, c’était le cœur d’une pauvre fille qui aimait… voilà tout… qui aimait…

Lupin, bouleversé. — Vous ne pouvez pas savoir, comme vous me torturez, taisez-vous !

Sonia. — Enfin, je pars : nous ne nous reverrons jamais. Alors, voulez-vous au moins me donner la main ?

Lupin, torturé. — Non.

Sonia. — Vous ne voulez pas ?

Lupin, très bas. — Non.

Sonia. — Ah !

Lupin. — Je ne peux pas.

Sonia. — Ah ! vous n’auriez pas dû… vous ne devriez pas me quitter ainsi, vous avez eu tort hier.

Elle va pour sortir.

Lupin, à voix basse, balbutiant. — Sonia ! (Sonia s’arrête.) Sonia !… vous avez dit quelque chose… vous avez dit que la présence d’un voleur vous soulèverait de dégoût… est-ce vrai ?

Sonia. — Oui, je vous le jure.

Lupin. — Et si je n’étais pas celui que vous croyez ?

Sonia. — Quoi ?

Lupin. — Si je n’étais pas le duc de Charmerace.

Sonia. — Quoi ?

Lupin. — Si je n’étais pas un honnête homme.

Sonia. — Vous ?

Lupin. — Si j’étais un voleur… Si j’étais…

Guerchard, goguenard. — Arsène Lupin.

Sonia, balbutiant. — Arsène Lupin… (Elle aperçoit ses menottes et pousse un cri.) C’est vrai ?… mais alors, vous vous êtes livré à cause de moi ?… et c’est à cause de