Page:Leblanc - Arsène Lupin, nouvelles aventures d'après les romans, 1909.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
ARSÈNE LUPIN

Guerchard. — Tu m’attendais ? je n’ai pas été, trop long ?

Lupin, maitrisant son émotion. — Non, le temps a passé très vite.

Guerchard. — C’est gentil chez toi.

Lupin. — C’est central… Seulement, excuse-moi, je ne peux pas te recevoir comme je voudrais. Tous mes domestiques sont partis.

Guerchard. — Ne t’inquiète pas de ça, je les rattraperai. (Un temps.) Et Victoire est toujours là…

Lupin, chancelant sous le coup, la voix altérée. — Elle est arrêtée ?

Guerchard. — Oui.

Lupin. — Ah ! (Un temps. À Guerchard, qui a gardé son chapeau sur la tête.) Reste donc couvert. (Ils s’assoient tous deux l’un en face de l’autre, lentement, sans se quitter des yeux.) D’où viens-tu ? (Avec gaminerie.) Tu as été faire signer ton petit mandat ?

Guerchard. — Oui.

Lupin, même jeu. — Tu l’as sur toi ?

Guerchard. — Oui.

Lupin. — Contre Lupin, dit Charmerace ?

Guerchard. — Contre Lupin, dit Charmerace.

Lupin. — Alors, qu’est-ce que t’attends pour m’arrêter ?

Guerchard. — Rien, mais ça me fait tellement plaisir que je veux savourer cette minute dans toute sa plénitude. Lupin !

Lupin. — Soi-même.

Guerchard. — Je n’ose pas y croire.

Lupin. — Comme tu as raison !

Guerchard. — Oui, je n’ose pas y croire. Toi, vivant ! là, à ma merci.

Lupin. — Oh ! pas encore !

Guerchard. — Si !… et bien plus encore que tu ne le crois… (Se penchant vers lui.) Sais-tu où est Sonia Kritchnoff, en ce moment ?

Lupin. — Hein ?

Guerchard. — Je te demande si tu sais où est Sonia Kritchnoff ?

Lupin, bouleversé. — Et toi ?

Guerchard. — Moi, je le sais.

Lupin. — Dis voir.

Guerchard. — Dans un petit hôtel, près de l’Étoile…

Lupin, de même. — Dans un petit hôtel près de l’Étoile…

Guerchard. — Qui a le téléphone.

Lupin. — Ah ! quel numéro ?

Guerchard. — 555.14… Veux-tu lui téléphoner ?

Lupin, se levant brusquement. — Eh bien, après ?

Guerchard. — Après… rien… voilà.

Lupin, avec dans la voix de l’émotion, de la violence contenue, parfois une sorte de supplication menaçante. — Évidemment, rien… car qu’est-ce que ça peut te faire, cette petite ? Ce n’est pas elle qui t’intéresse, n’est-ce pas ? C’est moi que tu cherches… que tu hais… C’est moi qu’il te faut… Je t’ai joué assez de tours pour ça, hein ! vieux brigand ? Alors, cette petite, tu vas la laisser tranquille… tu ne vas pas te venger sur elle… Tu as beau être policier, tu as beau me détester, il y a des choses qui ne se font pas… Tu ne vas pas faire ça, Guerchard… tu ne feras pas ça… Moi… tout ce que tu voudras… mais elle, faut pas y toucher, pauvre gosse ! Hein ? faut pas y toucher.

Guerchard, nettement. — Ça dépend de toi.

Lupin. — Ça dépend de moi ?

Guerchard. — J’ai à te proposer un petit marché.

Lupin. — Ah !…

Guerchard. — Oui.

Lupin. — Qu’est-ce que tu veux ?

Guerchard. — Je t’offre…

Lupin. — Tu m’offres ? Alors, c’est pas vrai… Tu me roules.

Guerchard. — Rassure-toi. À toi personnellement, je ne t’offre rien.

Lupin. — Rien ?

Guerchard. — Rien !

Lupin. — Alors, tu es sincère. Et à part ça ?

Guerchard. — Je t’offre la liberté.

Lupin. — Pour qui ? Pour mon concierge ?

Guerchard. — Ne fais pas l’idiot, une seule personne t’intéresse, je te tiens par elle : Sonia Kritchnoff !

Lupin. — C’est-à-dire que tu me fais chanter.

Guerchard. — Tu l’as dit.

Lupin. — Soit, pour l’instant tu es le plus fort, ça ne durera pas. Mais tu m’offres la liberté de la petite ?

Guerchard. — Oui.

Lupin. — Sa liberté entière ?… Ta parole d’honneur ?

Guerchard, vivement. — Oui.

Lupin, de même — Tu le peux ?

Guerchard. — Je m’en charge.

Lupin, vivement. — Comment feras-tu ?

Guerchard, de même. — Je mettrai les vols sur ton dos.

Lupin. — Oui, j’ai bon dos… Et en échange… qu’est-ce qu’il te faut ?

Guerchard. — Ah ! tout. Tu vas me rendre les tableaux, les tapisseries, le mobilier Louis XIV, le diadème et l’acte de décès de Charmerace.

Lupin. — Oui, foutu. Je serai foutu… Veux-tu aussi ma sœur ? Enfin, quoi ! tu veux ma peau ?

Guerchard. — Oui, je veux ta peau.

Lupin. — La peau !

Guerchard. — Tu ne veux pas ?

Lupin. — Je peux te donner un verre de porto, mais c’est tout ce que je peux faire pour toi.

Guerchard. — Soit !

On sonne. Il va à la porte.

Lupin, courant. — Attends ! Attends !

Guerchard, à Boursin qui entre. — Qu’est-ce que c’est ?

Lupin, fortement. — J’accepte, j’accepte tout.

Boursin — C’est un fournisseur.

Lupin. — Un fournisseur ? Je refuse.

Boursin se retire.

Guerchard. — Je vais coffrer la petite.

Lupin. — Pas pour longtemps.

Guerchard. — Tu connais ton code : minimum, cinq ans.

Lupin. — Tu mens ! tu ne peux pas !

Guerchard. — … Article 386.

Lupin, après un instant. — Au fait, si je te rends tout… j’en serai quitte pour tout reprendre un de ces jours…

Guerchard, ironique. — Parbleu ! quand tu sortiras de prison.

Lupin. — Il faudra d’abord que j’y entre.

Guerchard. — Ah ! mais pardon, si tu acceptes, je peux t’arrêter !

Lupin. — Évidemment, tu m’arrêtes si tu peux…

Guerchard. — Tu acceptes ?

Lupin. — Eh bien…

Guerchard. — Eh bien ?