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ARSÈNE LUPIN

dire… Aidez-moi… il faut que vous restiez ici… pour m’aider contre Lupin. Vous comprenez… vous voulez bien ?

Le Duc. — Cela, volontiers. Mais vous n’avez pas l’esprit bien calme… vous êtes inquiétant !…

Guerchard. — Encore une fois, excusez-moi.

Le Duc. — Soit !… mais qu’allons-nous faire ?

Guerchard. — Eh bien, le diadème est là. Il est dans ce coffret…

Le Duc. — Je sais bien qu’il y est puisque je l’ai changé de place cet après-midi. M. Gournay-Martin m’en avait prié.

Guerchard. — Oui, enfin, vous voyez… Il y est.

Le Duc. — Oui, oui, je vois, alors ?

Guerchard. — Alors, nous allons attendre.

Le Duc. — Qui ?

Guerchard. — Lupin.

Le Duc. — Lupin ! Alors, décidément comme dans les contes de fées, vous croyez que, lorsque cette horloge aura sonné douze coups, Lupin entrera et prendra le diadème ?

Guerchard. — Oui, je le crois.

Le Duc. — C’est palpitant !

Guerchard. — Ça ne vous ennuie pas ?

Le Duc. — Au contraire. Faire la connaissance de l’invisible gaillard qui vous roule depuis dix ans, c’est une soirée charmante.

Guerchard. — À qui le dites-vous ?

Le Duc. — À vous. (Ils s’assoient. Un temps. Désignant une porte.) On vient là.

Guerchard, écoutant. — Ah ?… Non.

Le Duc. — Si… tenez, on frappe !

Guerchard. — C’est vrai. Vous avez l’oreille encore plus fine que moi. D’ailleurs, vous avez montré en tout ceci des qualités de véritable policier. (Guerchard, sans quitter le duc des yeux, va ouvrir la porte.) Entre, Boursin. (Boursin entre.) Tu as les menottes ?

Boursin, lui remettant les menottes. — Oui, faut-il que je reste ?

Guerchard. — Non… Il y a nos hommes dans la cour ?

Boursin. — Oui.

Guerchard. — L’hôtel voisin ?…

Boursin. — Plus de communication possible. Tout est gardé.

Guerchard. — Si quelqu’un essaye d’entrer, (Coup d’œil au duc.) n’importe qui, qu’on l’empoigne… (Au duc, en riant.) Au besoin, qu’on tire dessus.

Sort Boursin.

Le Duc. — Fichtre ! Vous êtes ici dans une forteresse.

Guerchard. — Monsieur le duc, c’est plus vrai encore que vous ne pensez, j’ai des hommes à moi derrière chacune de ces portes.

Le Duc, l’air ennuyé. — Ah !

Guerchard. — Cela paraît vous ennuyer.

Le Duc. — Beaucoup, sapristi ! Mais alors, jamais Lupin ne pourra pénétrer dans cette pièce !

Guerchard. — Difficilement… à moins qu’il ne tombe du plafond… ou à moins…

Le Duc. — À moins qu’Arsène Lupin ne soit vous.

Guerchard. — En ce cas, vous en seriez un autre.

Ils rient tous deux.

Le Duc. — Elle est bonne. Eh bien, sur ce, je m’en vais.

Guerchard. — Hein ?

Le Duc. — Dame ! Je restais pour voir Lupin… du moment qu’il n’y a plus moyen de le voir…

Guerchard. — Mais si… Mais si… restez donc…

Le Duc. — Ah !… vous y tenez ?

Guerchard. — Nous le verrons.

Le Duc. — Bah !

Guerchard, en confidence. — Il est déjà ici.

Le Duc. — Lupin ?

Guerchard. — Lupin !

Le Duc. — Où ça ?

Guerchard. — Dans la maison !

Le Duc. — Déguisé, alors ?

Guerchard. — Oui.

Le Duc. — Un de vos agents, peut-être ?…

Guerchard. — Je ne crois pas.

Le Duc. — Alors, s’il est déjà ici, nous le tenons… Il va venir.

Guerchard. — J’espère, mais osera-t-il ?

Le Duc. — Comment ?

Guerchard. — Dame ! Vous l’avez dit vous même, c’est une forteresse. Lupin était peut-être décidé à entrer dans cette pièce, il y a une heure, mais maintenant.

Le Duc. — Eh bien ?

Guerchard. — Eh bien, maintenant, c’est qu’il faudrait un rude courage, vous savez. Il faudrait risquer le tout pour le tout et jeter bas le masque. Lupin ira-t-il se jeter dans la gueule du loup ? Je n’ose pas y croire. Votre avis ?

Le Duc. — Dame ! Vous devez être plus au courant que moi, vous le connaissez depuis dix ans, vous… tout au moins de réputation…

Guerchard, s’énervant peu à peu. — Je connais aussi sa manière d’agir. Depuis dix ans, j’ai appris à démêler ses intrigues, ses manœuvres… Oh ! son système est habile… Il attaque l’adversaire… Il le trouble… (Souriant.) tout au moins il essaye. C’est un ensemble de combinaisons enchevêtrées, mystérieuses ; moi-même, j’y ai été pris souvent. Vous souriez ?

Le Duc. — Ça me passionne !

Guerchard. — Moi aussi. Mais, cette fois, j’y vois clair. Plus de ruses, plus de sentiers dérobés, c’est au grand jour que nous combattons !… Lupin a peut-être du courage, il n’a que le courage des voleurs…

Le Duc. — Oh !

Guerchard. — Mais oui, les gredins n’ont jamais beaucoup de vertu.

Le Duc. — On ne peut pas tout avoir.

Guerchard. — Leurs embûches, leurs attaques, leur belle tactique, tout cela c’est bien court.

Le Duc. — Vous allez un peu loin.

Guerchard. — Mais non, monsieur le duc, croyez-moi, il est très surfait, ce fameux Lupin.

Le Duc. — Pourtant… il a fait des choses qui ne sont pas trop mal.

Guerchard. — Oh !

Le Duc. — Si… Il faut être juste… Ainsi, le cambriolage de cette nuit, ce n’est pas inouï, mais, enfin, ce n’est pas mal. Ce n’est pas si bête, l’escroquerie des automobiles.

Guerchard. — Peuh !

Le Duc. — Ce n’est pas mal, dans une seule semaine : un vol à l’ambassade d’Angleterre, un autre au ministère des Finances et le troisième chez M. Lépine.

Guerchard. — Oui.

Le Duc. — Et puis, rappelez-vous le jour où il s’est fait passer pour Guerchard. Allons, voyons… entre nous, sans parti pris… ça n’est pas mal.