Aller au contenu

Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— De la part d’une dame.

— Où est-elle ?

— Où est-elle ?… Tenez, Monsieur, là-bas… cette dame qui a une voilette épaisse.

— Et qui s’en va ?

— Oui.

Ganimard se précipita vers la porte et aperçut la dame qui descendait l’escalier. Il courut. Un flot de monde l’arrêta près de l’entrée. Dehors il ne la retrouva pas.

Il revint dans la salle, aborda Herschmann, se fît connaître, et l’interrogea sur la lettre. Herschmann la lui donna. Elle contenait, écrits au crayon, à la hâte, et d’une écriture que le financier ignorait, ces simples mots :

« Le diamant bleu porte malheur. Souvenez-vous du baron d’Hautois. »

Six mois après, au château de Crozon, en Picardie, on volait à la comtesse la bague au diamant bleu. Résumons cette curieuse affaire dont nous avons tous suivi les amusantes et dramatiques péripéties, et sur laquelle il m’est enfin permis de jeter quelque lumière.

Le soir du 10 août, les hôtes de M. et Mme de Crozon étaient réunis dans le salon du magnifique château qui domine la baie de Somme. On fit de la musique. La comtesse se mit au piano et posa sur un petit meuble, près de l’instrument, ses bijoux, parmi lesquels se trouvait la bague du baron d’Hautois.

Au bout d’une heure le comte se retira, ainsi que ses deux cousins, les d’Andelle, et Mme de Réal, une amie intime de la comtesse de Crozon. Celle-ci resta seule avec M. Bleichen, consul autrichien, et sa femme.

Ils causèrent, puis la comtesse éteignit une grande lampe située sur la table du salon. Au même moment, M. Bleichen éteignait les deux lampes du piano. Il y eut un instant d’obscurité, un peu d’effarement, puis le consul alluma une bougie, et tous trois gagnèrent leurs appartements. Mais, à peine chez elle, la comtesse se souvint de ses bijoux et enjoignit à sa femme de chambre d’aller les chercher. Celle-ci revint et les déposa sur la cheminée. Le lendemain, Mme de Crozon constatait qu’il manquait une bague, la bague au diamant bleu.

Elle avertit son mari. Leur conclusion fut immédiate : la femme de chambre étant au-dessus de tout soupçon, le coupable ne pouvait être que M. Bleichen.

Le comte prévint le commissaire central d’Amiens qui ouvrit une enquête et discrètement, organisa la surveillance la plus active pour que le consul autrichien ne pût ni vendre ni expédier la bague.

Jour et nuit des agents entourèrent le château.

Deux semaines s’écoulèrent sans le moindre incident. M. Bleichen annonce son départ. Ce jour-là une plainte est déposée contre lui. Le commissaire intervient officiellement et ordonne la visite des bagages. Dans un petit sac dont la clé ne quitte jamais le consul, on trouve un flacon de poudre de savon ; dans ce flacon, la bague !

Mme Bleichen s’évanouit. Son mari est mis en état d’arrestation.

On se rappelle le système de défense adopté par l’inculpé. Il ne peut s’expliquer, disait-il, la présence de la bague que par une vengeance de M. de Crozon. « Le comte est brutal et rend sa femme malheureuse. J’ai eu un long entretien avec celle-ci et l’ai vivement engagée au divorce. Mis au courant, le comte s’est vengé. »

Entre l’explication du consul et celle de ses hôtes, toutes deux également possibles, également probables, le public n’avait qu’à choisir. Aucun fait nouveau ne fit pencher l’un des plateaux de la balance. Un mois de bavardages, de conjectures et d’investigations n’amena pas un seul élément de certitude.

Ennuyés par tout ce bruit, impuissants à produire la preuve évidente de culpabilité qui eût justifié leur accusation, M. et Mme de Crozon demandèrent qu’on leur envoyât de Paris un agent de la Sûreté capable de débrouiller les fils de l’écheveau. On envoya Ganimard.




Une enquête qui fait grand honneur à l’inspecteur principal.


Ganimard n’est pas un de ces policiers de grande envergure dont les procédés font école, et dont le nom restera dans les annales judiciaires.

Il lui manque ces éclairs de génie qui illuminent les Dupin, les Lecoq et les Holmes. Mais il a d’excellentes qualités moyennes, de l’observation, de la sagacité, de la persévérance, et même de l’intuition, une intuition un peu confuse, qui ne sait pas relier les faits entre eux. Son mérite est de travailler avec l’indépendance la plus absolue. Rien, si ce n’est peut-être l’espèce de fascination qu’Arsène Lupin exerce sur lui, rien ne le trouble ni ne l’influence.

610