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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/20

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couleur des cheveux de la dame blonde. La comtesse éclata de rire.

— Pardonnez-moi, mon cher Monsieur Ganimard, mais c’est vraiment trop drôle : mon amie, Mme de Réal, est brune !

L’inspecteur ne se démonta pas et répliqua :

— Après l’assassinat du baron d’Hautois, alors que l’on possédait contre elle une arme aussi terrible qu’une poignée de ses cheveux, il aurait été fou de conserver cette couleur qui l’eût immanquablement dénoncée. Elle a changé, tout simplement. Une semaine plus tard, Madame, vous entriez en relations avec une Mme de Réal dont les cheveux étaient bruns et qui n’est autre que la dame blonde.

— La preuve ? dit à son tour la comtesse.

Mme de Réal a eu l’imprudence — les élèves d’Arsène Lupin n’atteignent pas à la perfection de leur maître — de laisser au château un flacon d’odeur, sans étiquette, il est vrai, et vide, mais encore assez imprégné de son odeur, pour que Mlle Gerbois puisse y distinguer le parfum de cette dame blonde, qui fut sa compagne de voyage durant deux semaines.



Le problème est insoluble, donc arsène lupin est le coupable.


Cette fois la comtesse parut ébranlée. Son mari ne disait rien. Ce fut le chef de la Sûreté qui, après une minute de réflexion, prit la parole et conclut :

— Il y a dans tout cela des coïncidences assez bizarres, je l’avoue. Mais, en supposant que vos hypothèses soient justes, Ganimard, le mystère n’en est que plus indéchiffrable. Premièrement, votre dame blonde assassine le baron d’Hautois et ne vole pas la bague au diamant bleu, qu’il lui était facile d’enlever. Deuxièmement, elle réussit dans les circonstances les plus difficiles à voler la bague de Mme de Crozon, et voilà qu’elle s’ingénie, à travers mille autres obstacles, à remettre ladite bague dans le flacon d’un consul autrichien. Comment expliquez-vous une telle anomalie ?

Ganimard répondit ingénument :

— Je ne l’explique pas, chef, pas plus que je n’explique la manière dont le diamant bleu a été dérobé à la comtesse, puis introduit dans le flacon de M. Bleichen, et c’est justement parce que je ne trouve pas d’explication que je crois être en présence d’Arsène Lupin.

M. Dudouis réprima un mouvement d’impatience. Le nom seul de Lupin l’exaspérait.

— Il faudra pourtant bien, s’écria-t-il, qu’on arrive à le mâter, ce monsieur-là, un jour ou l’autre.

— Ce sera plutôt l’autre, murmura Ganimard.

L’entretien était terminé. Accompagnés de l’inspecteur, M. et Mme de Crozon redescendirent les escaliers et traversèrent la cour. Au moment de monter dans son automobile, la comtesse, qui semblait soucieuse, se retourna vers le policier et lui dit à brûle-pourpoint :

M. Ganimard, vous serait-il désagréable que je sollicite l’aide de Herlock Sholmès ?

Il fut un peu déconcerté.

— Mais non… seulement… je ne comprends pas bien…

— Voilà… tous ces mystères m’agacent. Je veux voir clair. Alors j’ai pensé qu’en m’adressant au célèbre détective…

— Vous avez raison, Madame, prononça l’inspecteur avec une loyauté qui n’était pas sans quelque mérite, vous avez raison ; le vieux Ganimard n’est pas de force à lutter contre Arsène Lupin. Herlock Sholmès y réussira-t-il ? Je le souhaite, car j’ai pour lui la plus grande admiration. Cependant… cependant… En tout cas soyez sûre, Madame, que mon concours lui est entièrement assuré.

— Vous connaissez son adresse ?

— Oui, Parker street, 219.

Le soir même, le comte et la comtesse de Crozon, après avoir retiré leur plainte contre M. Bleichen, écrivirent à Herlock Sholmès.

Maurice Leblanc.

(La suite au prochain numéro).