Aller au contenu

Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je t’enlève M. Stickmann. Nous allons à la Bibliothèque nationale.

— Tu rentres déjeuner ?

— Peut-être… ou plutôt non… mais ne t’inquiète pas…

Et elle déclara fermement à Sholmès :

— Je vous suis, Monsieur.

Ensemble, comme il l’avait prédit, tous deux quittèrent l’hôtel.



Une excursion en automobile


Sur la place, l’automobile stationnait, tournée dans le sens opposé. On voyait le dos du mécanicien et sa casquette que recouvrait presque le col de sa fourrure. En approchant Sholmès entendit le ronflement du moteur. Il ouvrit la portière, pria Clotilde de monter et s’assit auprès d’elle.

La voiture démarra brusquement, gagna les boulevards extérieurs, l’avenue Hoche, l’avenue de la Grande-Armée.

Herlock, pensif, continuait ses plans.

— Ganimard est chez lui… je laisse la jeune fille entre ses mains… Lui dirai-je qui est cette jeune fille ? Non, il la mènerait droit au Dépôt, ce qui dérangerait tout. Une fois seul, je consulte la liste du dossier M B et je me mets en chasse. Et cette nuit, ou demain matin au plus tard, je vais trouver Ganimard comme il est convenu, et je lui livre Arsène Lupin et sa bande… Mais quel drôle de chemin nous prenons…

À ce moment, on sortait de Paris par la porte de Neuilly. Que diable ! pourtant, la rue Pergolèse n’était pas en dehors des fortifications.

Sholmès baissa la glace.

— Dites donc, chauffeur, vous vous trompez… rue Pergolèse !…

L’homme ne répondit pas. Il répéta, d’un ton plus élevé :

— Je vous dis d’aller rue Pergolèse.

L’homme ne répondit point. Une inquiétude effleura l’Anglais. Il regarda Clotilde : un sourire indéfinissable plissait les lèvres de la jeune fille.

Alors, il examina plus attentivement l’homme qui se trouvait sur le siège. Les épaules étaient plus minces, l’attitude plus dégagée… Une sueur froide le couvrit, ses mains se crispèrent, tandis que la plus effroyable conviction s’imposait à son esprit : cet homme c’était Arsène Lupin.

— Eh bien. M. Sholmès, que dites-vous de cette petite promenade ?

— Délicieuse, cher Monsieur, absolument délicieuse, riposta Sholmès.

Jamais peut-être il ne lui fallut faire sur lui-même un effort plus terrible que pour articuler ces paroles sans un frémissement dans la voix, sans rien qui pût indiquer le déchaînement de tout son être. Mais aussitôt, par une sorte de réaction formidable, un flot de rage et de haine brisa les digues, emporta sa volonté, et d’un geste brusque tirant son revolver, il le braqua sur Mlle Destange.

— À la minute même, à la seconde, arrêtez. Lupin, ou je fais feu sur Mademoiselle.

— Je vous recommande de viser la joue si vous voulez atteindre la tempe, répondit Lupin sans tourner la tête.

Clotilde prononça :

— Maxime, n’allez pas trop vite, le pavé est glissant, et je suis très peureuse.

Elle souriait toujours, les yeux fixés aux pavés, dont la route se hérissait devant la voiture.

— Qu’il arrête, qu’il arrête donc ! lui dit Sholmès, fou de colère, vous voyez bien que je suis capable de tout.

Le canon du revolver frôla les boucles de cheveux.

Elle murmura :

— Ce Maxime est d’une imprudence ! À ce train-là nous sommes sûrs de déraper.

Sholmès remit l’arme dans sa poche et saisit la poignée de la portière, prêt à s’élancer, malgré l’absurdité d’un pareil acte.

Clotilde lui dit :

— Prenez garde. Monsieur, il y a une automobile derrière nous.

Il se pencha. Une voiture les suivait en effet, énorme, farouche d’aspect avec sa proue aiguë, couleur de sang, et les quatre hommes en peau de bête qui la montaient.

— Allons, pensa-t-il, je suis bien gardé, attendons.

Il croisa ses bras sur sa poitrine, et, tandis que l’on traversait la Seine et que l’on brillait Suresnes, Rueil, Chatou, immobile, résigné, il se demandait par quel miracle Arsène Lupin s’était substitué au chauffeur. Il n’admettait pas que le brave garçon qu’il avait choisi le matin sur le boulevard pût être un complice placé là d’avance. Il fallait pourtant bien qu’Arsène Lupin eût été prévenu, et il ne pouvait l’avoir été qu’après le moment où, lui, Sholmès, avait menacé Clotilde, puisque personne, auparavant, ne soupçonnait son projet. Or, depuis ce moment, Clotilde et lui, ne s’étaient point quittés.

Un souvenir le frappa : la communication téléphonique demandée par la jeune

286