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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/90

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— Monsieur le baron, c’est M. Ganimard. Il prévient M. Sholmès qu’il désire lui parler.

— Qu’il entre, dit le baron.

— Non, s’écria Sholmès.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? parce que…

Il eût voulu converser avec Ganimard et l’éconduire de façon à ce que l’inspecteur ne devinât point que le nœud de l’intrigue se trouvait précisément à portée de sa main. Mais, d’autre part, il redoutait de laisser le baron et sa femme en présence d’Alice Demun. Celle-ci pousserait-elle jusqu’au bout son rôle héroïque ? et ne serait-elle pas tentée, avant que Ganimard n’intervînt, de révéler toute la vérité à M. d’Imblevalle ?

— Dites à M. Ganimard qu’il peut monter, répéta le baron.

Le domestique sortit.

— Si Ganimard entre, pensa Sholmès, le baron lui raconte tout, et Alice Demun est arrêtée. Cela, il ne le faut pas, il ne le faut à aucun prix.

Il marcha vers la porte. Le baron s’interposa :

— Vous rejoignez M. Ganimard ? Soit. Je vous accompagne.

Aucun soupçon ne le dirigeait ; rien que ces motifs obscurs qui nous poussent vers notre destin malgré les obstacles et les volontés adverses.

Un long silence, lourd d’angoisse, s’accumula. Tous, ils avaient conscience que l’inspecteur approchait et que l’irréparable était sur le point d’être consommé.

On entendit des pas.

— Une minute ! une seule minute ! oh ! je vous en prie, Monsieur Sholmès.

C’était la baronne qui s’était levée, les bras tendus en suppliante.

Sholmès entrouvrit la porte.

— Veuillez m’attendre en bas, Monsieur Ganimard.

Il ferma et poussa le verrou.

— Une minute ?… Que veux-tu dire, Suzanne, s’écria M. d’Imblevalle… Je ne vois aucun motif…

— Si, si, monsieur le baron, reprit Sholmès, il y a des motifs. Je suis tout à fait d’avis que cette affaire soit réglée ici, entre nous.

— Mais pourquoi ?

— Parce que, dit la baronne, la coupable n’est pas…

Alice se jeta sur Mme d’Imblevalle et lui mit la main sur la bouche.

— Taisez-vous, madame ! Ne dites pas des choses qui ne sont pas… À quoi bon ! je suis la coupable, puisque c’est moi qui ai tout combiné… puisque c’est moi qui ai correspondu…



La vraie coupable se dénonce


Sholmès s’avança pour tenter un dernier effort. Le baron l’écarta et, s’adressant à sa femme :

— Parle ! explique-toi !… Je pressens…

— Tu pressens la vérité, mon pauvre ami, fit-elle, très bas et le visage tordu de désespoir… la vilaine et honteuse vérité.

— Alors… Mademoiselle…

— Mademoiselle m’a sauvée… par dévouement… par affection… et elle s’accusait…

— Sauvée de quoi ? de qui ?

— De cet homme.

— Bresson ?

— Oui, c’est moi qu’il tenait par ses menaces… Je l’ai connu chez une amie… et j’ai eu la folie de l’écouter… Oh ! rien que tu ne puisses pardonner… cependant j’ai écrit deux lettres… des lettres que tu verras… je les ai rachetées… tu sais comment… Oh ! aie pitié de moi… j’ai tant pleuré !

— Toi ! toi ! Suzanne !

Il leva sur elle ses poings serrés, prêt à la battre, prêt à la tuer. Mais ses bras retombèrent, et il murmura encore :

— Toi, Suzanne !… toi !… est-ce possible !…

Par petites phrases hachées, elle raconta la navrante et banale aventure, son réveil effaré devant l’infamie du personnage, ses remords, son affolement, et elle dit aussi la conduite admirable d’Alice, la jeune fille devinant le désespoir de sa maîtresse, lui arrachant sa confession, écrivant à Lupin, et organisant cette histoire de vol pour la sauver des griffes de Bresson.

— Toi, Suzanne, toi, répétait M. d’Imblevalle, courbé en deux, terrassé… Comment as-tu pu… ?

Sholmès ouvrit de nouveau la porte et s’effaça devant Alice. Mais la baronne saisit vivement la jeune fille par le cou et l’embrassa.

Elles échangèrent un long regard, un dernier regard de tendresse. Et ce fut tout. La porte se referma sur un de ces drames douloureux où les cœurs se déchirent jusqu’à l’heure apaisante du pardon…

Dans le couloir Sholmès s’arrêta.

— Il ne faut pas que M. Ganimard vous