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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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Il dégringola l’étage et franchit le perron, afin de lui couper toute retraite. Mais il ne vit plus personne, et il lui fallut quelques secondes pour distinguer dans le fouillis des arbustes une masse plus sombre qui n’était pas tout à fait immobile.

L’Anglais réfléchit. Pourquoi l’individu n’avait-il pas essayé de fuir, alors qu’il l’eût pu si aisément ? Demeurait-il là pour surveiller à son tour l’intrus qui l’avait dérangé dans sa mystérieuse besogne ?

« En tout cas, pensa-t-il, ce n’est pas Lupin, Lupin serait plus adroit. C’est quelqu’un de sa bande. »

De longues minutes s’écoulèrent. Herlock ne bougeait pas, l’œil fixé sur l’adversaire qui l’épiait. Mais comme cet adversaire ne bougeait pas davantage, et que l’Anglais n’était pas homme à se morfondre dans l’inaction, il vérifia si le barillet de son revolver fonctionnait, dégagea son poignard de sa gaine, et marcha droit sur l’ennemi, avec cette audace froide et ce mépris du danger qui le rendent si redoutable.

Un bruit sec : l’individu armait son revolver. Herlock se jeta brusquement dans le massif. L’autre n’eut pas le temps de se retourner : l’Anglais était déjà sur lui. Il y eut une lutte violente, désespérée, au cours de laquelle Herlock devinait l’effort de l’homme pour tirer son couteau. Mais Sholmès, qu’exaspérait l’idée de sa victoire prochaine, le désir fou de s’emparer, dès la première heure, de ce complice d’Arsène Lupin, sentait en lui des forces irrésistibles. Il renversa son adversaire, pesa sur lui de tout son poids, et l’immobilisant de ses doigts plantés dans la gorge du malheureux comme les griffes d’une serre, de sa main libre il chercha sa lanterne électrique, en pressa le bouton et projeta la lumière sur le visage de son prisonnier.

« Wilson ! hurla-t-il, terrifié.

— Herlock Sholmès ! » balbutia une voix étranglée, caverneuse.

Ils demeurèrent longtemps l’un près de l’autre sans échanger une parole, tous deux anéantis, le cerveau vide. La corne d’une automobile déchira l’air. Un peu de vent agita les feuilles. Et Sholmès ne bougeait pas, les cinq doigts toujours agrippés à la gorge de Wilson qui exhalait un râle de plus en plus faible.

Et soudain Herlock, envahi d’une colère, lâcha son ami, mais pour l’empoigner par les épaules et le secouer avec frénésie.

« Que faites-vous là ? Répondez… Quoi ?… Est-ce que je vous ai dit de vous fourrer dans les massifs et de m’espionner ?

— Vous espionner, émit Wilson, mais je ne savais pas que c’était vous.

— Alors quoi ? Que faites-vous là ? Vous deviez vous coucher.

— Je me suis couché.

— Il fallait dormir !

— J’ai dormi.

— Il ne fallait pas vous réveiller !

— Votre lettre…

— Ma lettre ?…

— Oui, celle qu’un commissionnaire m’a apportée de votre part à l’hôtel…

— De ma part ? Vous êtes fou ?

— Je vous jure.

— Où est cette lettre ? »

Son ami lui tendit une feuille de papier. À la clarté de sa lanterne, il lut avec stupeur :

« Wilson, hors du lit, et filez avenue Henri-Martin. La maison est vide. Entrez, inspectez, dressez un plan bien exact, et retournez vous coucher. — Herlock Sholmès. »

« J’étais en train de mesurer les pièces, dit Wilson, quand j’ai aperçu une ombre dans le jardin. Je n’ai eu qu’une idée…

— C’est de vous emparer de l’ombre… L’idée était excellente… Seulement, voyez vous, dit Sholmès en aidant son compagnon à se relever et en l’entraînant, une autre fois, Wilson, lorsque vous recevrez une lettre de moi, assurez-vous d’abord que mon écriture n’est pas imitée.

— Mais alors, fit Wilson, commençant à entrevoir la vérité, la lettre n’est donc pas de vous ?

— Hélas ! non.

— De qui ?

— D’Arsène Lupin.

— Mais dans quel but l’a-t-il écrite ?

— Ah ! ça, je n’en sais rien, et c’est justement ce qui m’inquiète. Pourquoi diable s’est-il donné la peine de vous déranger ? S’il s’agissait encore de moi, je comprendrais, mais il ne s’agit que de vous. Et je me demande quel intérêt…

— J’ai hâte de retourner à l’hôtel.

— Moi aussi, Wilson. »

Ils arrivaient à la grille, Wilson, qui se trouvait en tête, saisit un barreau et tira.

« Tiens, dit-il, vous avez fermé ?

— Mais nullement, j’ai laissé le battant tout contre. »

Herlock tira à son tour, puis, effaré, se précipita sur la serrure. Un juron lui échappa.

« Tonnerre de D… elle est fermée ! fermée à clef ! »

Il ébranla la porte de toute sa vigueur puis, comprenant la vanité de ses efforts, laissa tomber ses bras, découragé, et il articula d’une voix saccadée :

« Je m’explique tout maintenant, c’est lui ! Il a prévu que je descendrais à Creil, et il m’a tendu ici une jolie petite souricière pour le cas où je viendrais commen-