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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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le trottoir, en cadence, et, sur le dos, d’énormes affiches où l’on pouvait lire :

LE MATCH HERLOCK SHOLMÈS ARSÈNE LUPIN, ARRIVÉE DU CHAMPION ANGLAIS. LE GRAND DÉTECTIVE S’ATTAQUE AU MYSTÈRE DE LA RUE MURILLO, LIRE LES DÉTAILS DANS L’ « ÉCHO DE FRANCE ».

Wilson hocha la tête.

« Dites donc, Herlock, nous qui nous flattions de travailler incognito ! Je ne serais pas étonné que la garde républicaine nous attendît rue Murillo et qu’il y eût réception officielle, avec toasts et champagne.

— Quand vous vous mettez à avoir de l’esprit, Wilson, vous en valez deux », grinça Sholmès.

Il s’avança vers l’un de ces hommes avec l’intention très nette de le prendre entre ses mains puissantes et de le réduire en miettes, lui et son placard. La foule cependant s’attroupait autour des affiches. On plaisantait et l’on riait.

Réprimant un furieux accès de rage, il dit à l’homme :

— Quand vous a-t-on embauchés ?

— Ce matin.

— Vous avez commencé votre promenade ?…

— Il y a une heure.

— Mais, les affiches étaient prêtes ?

— Ah ! dame, oui… Lorsque nous sommes venus ce matin, à l’agence, elles étaient là. »

Ainsi donc, Arsène Lupin avait prévu que lui, Sholmès, accepterait la bataille. Bien plus, la lettre écrite par Lupin prouvait qu’il désirait cette bataille, et qu’il entrait dans ses plans de se mesurer une fois de plus avec son rival. Pourquoi ? Quel motif le poussait à recommencer la lutte ?

Herlock eut une seconde hésitation. Il fallait vraiment que Lupin fût bien sûr de la victoire pour montrer tant d’insolence, et n’était-ce pas tomber dans le piège, que d’accourir ainsi au premier appel ?

« Allons-y, Wilson ! Cocher, 18, rue Murillo », s’écria-t-il en un réveil d’énergie.

Et les veines gonflées, les poings serrés comme s’il allait se livrer à un assaut de boxe, il sauta dans une voiture.

La rue Murillo est bordée de luxueux hôtels particuliers dont la façade posté fleure a vue sur le parc Monceau. Une des plus belles parmi ces demeures s’élève au numéro 18, et le baron d’Imblevalle, qui l’habite avec sa femme et ses enfants, l’a meublée de la façon la plus somptueuse, en artiste et en millionnaire. Une cour d’honneur précède l’hôtel, et des communs le bordent à droite et à gauche. En arrière, un jardin mêle les branches de ses arbres aux arbres du parc.

Après avoir sonné, les deux Anglais franchirent la cour et furent reçus par un valet de pied qui les conduisit dans un petit salon situé sur l’autre façade.

Ils s’assirent et inspectèrent d’un coup d’œil rapide les objets précieux qui encombraient ce boudoir.

« De jolies choses, murmura Wilson, du goût et de la fantaisie… On peut déduire que ceux qui ont eu le loisir de dénicher ces objets sont des gens d’un certain âge… cinquante ans peut-être… »

Il n’acheva pas. La porte s’était ouverte, et M. d’Imblevalle entrait, suivi de sa femme. Contrairement aux déductions de Wilson, ils étaient tous deux jeunes, de tournure élégante, et très vifs d’allure et de paroles. Tous deux, ils se confondirent en remerciements.

« C’est trop gentil à vous ! un pareil dérangement ! Nous sommes presque heureux de l’ennui qui nous arrive, puisque cela nous procure le plaisir…

— Quels charmeurs que ces Français ! pensa Wilson, qu’une observation profonde n’effrayait pas.

— Mais le temps est de l’argent, s’écria le baron… le vôtre surtout, monsieur Sholmès. Aussi, droit au but ! Que pensez vous de l’affaire ? Espérez-vous la mener à bien ?

— Pour la mener à bien, il faudrait d’abord la connaître.

— Vous ne la connaissez pas ?

— Non, et je vous prie de m’expliquer les choses par le menu sans rien omettre. De quoi s’agit-il ?

— Il s’agit d’un vol.

— Quel jour a-t-il eu lieu ?

— Samedi dernier, répliqua le baron, dans la nuit de samedi à dimanche.

— Il y a donc six jours. Maintenant, je vous écoute.

— Il faut vous dire d’abord, Monsieur, que ma femme et moi, tout en nous conformant au genre de vie qu’exige notre situation, nous sortons peu. L’éducation de nos enfants, quelques réceptions, et l’embellissement de notre intérieur, voilà notre existence, et toutes nos soirées, ou à peu près, s’écoulent ici, dans cette pièce qui est le boudoir de ma femme et où nous avons réuni quelques objets d’art. Samedi dernier, donc, vers onze heures, j’éteignis l’électricité, et, ma femme et moi, nous rentrâmes comme d’habitude dans notre chambre.

— Qui se trouve ?…

— À côté, cette porte que vous voyez. Le lendemain, c’est-à-dire le dimanche, je me levai de bonne heure. Comme Suzanne, — ma femme, — dormait encore, je passai dans ce boudoir aussi doucement que possible pour ne pas la réveiller. Quel fut mon étonnement en constatant que cette fenêtre était ouverte, alors que,