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tions languissaient. On allait se retirer lorsqu’une sorte de colosse, au visage rouge, au cou puissant, fit son entrée.

— Tiens, Rouxeville ! s’écria-t-on.

Il répondit en distribuant des poignées de main :

— Ça va bien, les enfants ? Tel que vous me voyez, je vais place de la Roquette. C’est cette nuit que l’on exécute Corbier. Y en a-t-il parmi vous qui veuille me suivre ?

— Nous, nous, s’exclamèrent les femmes.

La bande entière se leva. On prit des fiacres et l’on courut… là-bas. Des attroupements déjà grouillaient sur la place. Conduits par Rouxeville, les jeunes gens pénétrèrent dans un débit de vins pour y louer des fenêtres. On leur donna deux chambres au second étage. L’une, la plus vaste, avait deux fenêtres, l’autre une seule.

À peine installés, ils se turent. Leur excitation tomba. D’en bas montait un tumulte. Une complainte scandait le bruit vague de la foule, et ce chant que psalmodiait une voix grêle de voyou, des gens le reprenaient en chœur.

Une femme murmura :

— Sapristi, c’est pas gai. Si nous buvions au moins !

On demanda du cognac et des liqueurs et l’on but. On but beaucoup. Tous, ils éprouvaient le besoin de s’étourdir. Les langues se délièrent. Ils parlaient très haut, ensemble, sans s’écouter. Un sujet pourtant obtint l’attention générale. Il s’agissait d’exploits amoureux. Chacun s’attribua des qualités exceptionnelles et raconta ce dont il s’enorgueillissait le plus au cours de sa vie intime, le combat