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— Une faim canine, hein ?

Il s’écriait :

— Quel mauvais temps !

— Un temps de chien, répondait-on.

Un moment il aspira aux honneurs.

On donnait une fête. Il fut élu vice-commissaire. On ne l’appela plus que le chien du commissaire.

Tout cela le mettait hors de lui. Peut-être cependant s’y serait-il accoutumé. En somme, ces moqueries n’attaquaient point l’individu ni ne diminuaient son mérite ou son prestige. Mais une source d’épreuves nouvelles allait surgir où sombra tout son espoir.

La cause initiale fut une phrase colportée par un fournisseur qu’il avait contraint à réduire sa note :

— Ce qu’il est chien, ce juif d’Abraham !

La locution resta. Elle servit d’abord à le railler, puis, effet inévitable des calomnies dont on oublie le début futile, à le flageller. Aussi bien les deux vocables qui formaient son nom ne semblaient pas réels. Ils éveillaient l’idée de sobriquets. Et le propre des sobriquets étant de mettre en relief le caractère général d’un individu et de stigmatiser ses ridicules, on décréta coupable d’avarice Abraham Chien, briquetier à Caudebec. Il était vraiment chien, doublement, triplement chien, chien par le nom, chien par le prénom, chien par les habitudes.

Cette épouvantable calamité ne l’abattit pas. Il se révolta contre l’injustice. Les paroles en un tel cas sont inutiles. Il faut des faits, des preuves. Il les fournirait.