Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/60

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Vraiment c’était impressionnant, et ce paysan communiquait à tous mes hommes son ardeur et son âme héroïque. Aucun d’eux n’eût voulu lâcher pied. Et lorsque, une demi-heure plus tard, à l’instant même où les Allemands franchissaient le mur du cimetière et galopaient au milieu des tombes, les renforts nous arrivèrent, l’offensive que nous reprîmes aussitôt fut irrésistible. Sans une minute de répit mes hommes dégringolèrent les pentes. Le cimetière se vida. J’accourus. J’avais hâte de retrouver Martineau.

Il était là. Il gisait sur la tombe de ses pères, ou plutôt dans la tombe. Tout en combattant il s’y était creusé un abri, d’où il avait continué de tirer, s’enfonçant peu à peu, rejoignant Alphonse Martineau, et Louis-Octave Martineau, et sa mère, et sa grand’mère, et ses grands-oncles morts pour la patrie. Il était là, le front troué d’une balle, du sang plein les joues, avec une expression de haine et de colère sainte. Gardien farouche de ses morts, il les avait défendus jusqu’au dernier souffle, et grâce à lui les morts avaient été sauvés.

Une heure après, le village était repris. Nous ne l’avons plus perdu. Martineau repose à l’endroit même où il a voulu mourir.