Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mais, crebleu de bon sang, avale ta salive, gronda Mérillot. Écoute donc la mère !

Et la mère reprit :

— Ça fait gros au cœur de voir tant de peine. Mais j’ai du courage tout de même quand je pense à toi, et je suis sûre qu’il ne t’arrivera rien. N’est-ce pas, mon petit gars, que le bon Dieu ne voudra pas que le malheur nous touche ? Nous avons eu notre part. Et mon petit gars reviendra pour que je l’embrasse comme je l’aime, comme je l’embrassais quand il était petit et qu’il s’endormait sur mes genoux… »

Les trois soldats ne bougeaient pas. Le visage contracté, les yeux fixes, ils écoutaient la mère. Et ce n’était plus la mère de Le Goff qui parlait, mais leur mère à chacun d’eux. Ce que dit, une mère s’adresse à tous les fils et tous les fils le comprennent. Le langage est le même. Les paroles ont le même sens. Elles appellent les mêmes émotions. Et il en était ainsi toutes les fois que Le Goff lisait une lettre de la vieille Bretonne devant Mérillot, devant Lagache et devant Gréaume. L’ombre de leur mère se penchait sur eux. Chacun entendait le son de la voix qui les avait bercés et voyait s’animer autour de lui tous les spectacles auxquels ses yeux étaient accoutumés.