Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/67

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semble… Tout le monde a son compte ? Bien joué, messeigneurs, et maintenant à la Tour de Nesle.

En quelques minutes, le groupe des Allemands fut anéanti. Deux lignes de tranchées étaient prises. Le but était atteint.

Un peu plus tard, le capitaine fit venir Dorgeval.

— Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

— Artiste dramatique, mon capitaine.

— Mais tu t’es déjà battu ?

— Oh ! certes, bien souvent ! affirma Dorgeval, qui pensait à toutes les batailles, assauts, guet-apens, duels, où il s’était dépensé si magnifiquement au cours de sa longue carrière.

— Pourtant, tu ne semblais pas très fier au début.

— Histoire de s’y remettre, mon capitaine.

— Eh bien ! vrai, tu as une manière à toi de t’y remettre, mon garçon. Sais-tu bien que tu as décroché ta citation et ta Croix de guerre… Peut-être bien la médaille ?…

Dorgeval ne sembla pas ébloui. La Croix de guerre ?… La médaille ?… Qu’est-ce que c’est que cela pour quelqu’un qui a porté le collier de la Toison d’Or, l’ordre de la Jarretière et le ruban rouge de Saint-Louis ? Des récompenses ? des grades ? Colifichets dont il était bien revenu ! Non, ce qui importe, c’est le devoir accompli et accompli dans de belles conditions, sur un théâtre qui en vaut la peine, et devant un public qui s’y connaît et qui applaudit.

— À votre guise, mon Capitaine, déclara-t-il. Pour moi, je suis payé.

Et le buste harmonieusement penché, la jambe tendue, Hippolyte Dorgeval, grand premier rôle, essuya d’un geste large le sang qui dégouttait de sa rapière.