Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’elle faisait, elle est devenue pour moi inaccessible… presque sacrée.

— Bref, ces papiers ?…

— Je les ai conservés sur moi toute la nuit. Ce matin, comme j’allais en province, je les ai remis à Yégor, le patron de la Pension russe, en un pli cacheté qu’il a mis dans son coffre. Au bout de huit jours, et si je ne lui avais pas donné de contre-ordre, il devait les porter à une adresse que je lui laissais par écrit, sous enveloppe. Cette enveloppe, vous l’ouvrirez, monsieur le juge d’instruction, et vous y trouverez l’adresse de Mlle Destol.

Gérard tira de sa poche son portefeuille, y prit une carte et, avec la plume du juge d’instruction, la signa.

— Voici ma carte et ma signature, dit-il. Yégor vous remettra les papiers.

Le juge d’instruction prit la carte. Il regardait Nelly-Rose. Celle-ci, toujours impassible, semblait étrangère à l’événement.

— Vous pouvez vous retirer, mademoiselle, dit pour la seconde fois M. Lissenay.

La jeune fille lui fit une inclinaison de tête et, sans une parole, s’en alla. Pas une fois, son regard n’avait rencontré celui de Gérard.


Dehors, sur l’avenue des Champs-Élysées, Nelly-Rose marcha quelques instants vers l’Arc de triomphe. Elle était infiniment lasse. Elle avançait avec une lenteur croissante. Qu’allait-elle faire et dire chez elle ?

Et soudain, cette idée de rentrer, de parler à sa mère, de lui donner, ainsi qu’à Valnais, des explications, et de subir un fastidieux interrogatoire, lui parut intolérable.

Sa décision fut immédiate. Elle entra dans un bureau de poste et envoya ce pneumatique à Mme Destol :

« Maman chérie,

» Pardonne-moi toute la peine que je t’ai faite et ne m’en veuille pas si j’éprouve le besoin de rester seule quelques jours. Ce sera pour toi et pour moi un repos qui nous est indispensable à l’une et à l’autre.

» Dès mon retour, lundi prochain après-midi, je te dirai toute la vérité et j’espère bien pouvoir t’apprendre que nous sommes sur le point de devenir riches…

» De tout mon cœur, maman chérie… »

Nelly-Rose prit ensuite un taxi, acheta dans un grand magasin un sac et les objets de toilette indispensables, et se fit conduire sur la rive gauche, le long du Jardin des Plantes, où elle connaissait une petite pension de famille qu’une de ses amies avait habitée.

Quelle joie de pouvoir enfin être tranquille et de se promener chaque jour, loin des yeux et loin de tout, dans le vieux jardin solitaire !…