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un amour

constata quelle souffrait davantage et que le temps ne soulageait pas sa peine. Puis elle ne pensa pas. Des idées vagues l’effleurèrent sans plus troubler le sommeil de son cerveau que des ailes d’hirondelle ne remuent les profondeurs endormies de quelque eau stagnante.

Surtout elle sentait son isolement, un isolement définitif. Elle s’était affranchie des liens qui nous séparent de nos semblables ; elle avait connu l’ivresse des bouches qui s’unissent, des âmes qui s’entremêlent, des vies qui se confondent ; elle avait rêvé l’éternité de ce bonheur et de cette communion. Et puis, c’était fini, irrémédiablement.

Une sorte d’hallucination lui montra distinctement une forme humaine accroupie dans un coin, exposée au froid, couverte de haillons, une pauvresse dont les passants se détournaient et qui n’osait pas tendre la main. Et cette femme releva la tête, et Marthe s’aperçut que la mendiante avait ses traits à elle.

Ses yeux se mouillèrent, elle s’éveilla de sa torpeur, et elle pleura, doucement, des larmes lentes qui s’entre-croisaient sur ses joues et qui imprégnaient ses lèvres de leur amertume.