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roméo et juliette

Un moment, j’eus l’idée de m’enfuir, mais le courage me manqua. Et puis une ambition me soutenait ; je remarquais que peu à peu, quand je jouais devant Lucie, ma voix devenait plus assurée, mes gestes plus naturels, mon émotion moins profonde. Aussi je me mis au travail, j’étudiai toutes les pièces de notre répertoire, et j’en déclamais des morceaux entiers, partout, dans la rue, dans le train, dans ma chambre d’hôtel.

Mon espérance se réalisa. Le principal acteur abandonna la troupe. Embarrassé, le directeur demanda si l’un de nous pouvait prendre sa place. Je m’offris, et à défaut d’un autre il m’accepta.

Je fus sublime. La salle se leva pour m’acclamer. Dans les scènes d’amour surtout, j’eus du génie. Je me roulais aux pieds de Lucie, embrassant ses jupes, me traînant, bégayant les vers, pleurant, sanglotant, et de grosses larmes, des larmes réelles, me roulaient sur les joues.

Dès lors, ma réputation était faite, mais je ne pouvais quitter Lucie. Mon talent dépendait de sa vue, de son regard, du son de sa voix. Sa présence seule me donnait de l’ardeur et de l’en-