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le devoir

— C’est fini, fini. Bientôt nous mourrons, et nous mourrons sans nous être appartenus, nous mourrons sans rien connaître, puisque nous ne connaissons pas l’extase des corps qui se désirent et qui se possèdent. Quelle torture !.. Nous nous aimions bien cependant, Lucienne, n’est-ce pas ?… Et tant d’amour perdu… Tenez… je me souviens autrefois, j’ai passé une semaine chez vous, et le soir, avant de vous quitter, je vous regardais de longues minutes ; puis, vous partie, je fermais les paupières, je gagnais ma chambre à tâtons, je me déshabillais, et je me couchais dans l’obscurité pour que rien, après votre image, ne pût frapper mes yeux.

Il se glissa vers elle et tendrement murmura :

— Ah ! mon amie, dites-moi que vous regrettez votre jeunesse, votre passion, votre folie, que c’eût été délicieux d’être l’un à l’autre, délicieux d’en parler…

Ils s’étreignirent avec rage, comme s’ils eussent voulu réparer leur passé, mais leurs bras retombèrent découragés.

Et Lucienne, écrasée, la figure entre ses mains, sanglotait doucement, avec des convulsions qui remuaient son pauvre petit corps,