Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/87

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litude absolue des deux scènes, elle répéta :

— Vous êtes perdu. La situation est vraiment la même qu’au Manoir. Là-bas, Raoul et les enfants avaient été chercher du secours, et, tout à coup, alors que vous étiez le maître, le canon d’un fusil s’est braqué sur vous. Ici, la même chose. Les trois gosses ont trouvé des hommes. Ils sont là, comme au Manoir, avec leurs fusils… Vous vous rappelez ? Ils sont là. Les canons des fusils sont braqués sur vous.

— Vous mentez, balbutia le bandit.

— Ils sont là, affirma-t-elle, d’une voix de plus en plus pressante. J’ai entendu le signal de mes garçons. Ils n’ont pas pris le temps de contourner le donjon. Ils sont là, derrière le mur.

— Vous mentez ! cria-t-il. Ce que vous dites est impossible.

Elle commanda, toujours avec le calme d’une personne qu’aucun danger ne menace plus, et avec un tutoiement impérieux :

— Retourne-toi… tu verras leurs fusils braqués sur ta poitrine. Que je dise un mot, et ils tirent. Retourne-toi donc !

Il se dérobait. Il ne voulait pas obéir. Mais les yeux de Dorothée exigeaient, des yeux ardents, irrésistibles, plus forts que lui, et, se soumettant à leur volonté, il se retourna.

C’était le dernier quart de la dernière minute.

Dans un élan de tout son être, avec une puissance de conviction qui ne permettait pas au bandit de réfléchir, Dorothée exigea :

— Haut les mains, misérable, ou l’on t’abat comme un chien. Haut les mains ! Mais tirez donc là-bas, tirez sans pitié ! Haut les mains !

D’Estreicher avait vu le fusil. Il leva les bras.

En une seconde, Dorothée se jeta sur lui, arracha de la poche de son veston un revolver, et le visant en face, sans un battement de cour, sans que sa main déviât d’une ligne, elle articula doucement, les yeux luisants de malice :

— Idiot, va, je t’avais bien dit que tu étais perdu.



XVII.

Haut et court


La scène n’avait pas duré une minute, et, en moins d’une minute, le redressement s’était produit. La défaite se changeait en victoire.

Victoire précaire. Dorothée savait qu’un homme comme celui-là ne resterait pas longtemps dupe de l’illusion qu’elle avait réussi, par un coup d’audace vraiment incroyable, à créer dans son esprit. Elle tenta l’impossible cependant pour arriver à la capture du bandit, capture qu’elle ne pouvait effectuer seule, et qui ne deviendrait définitive que si elle le tenait en respect jusqu’à la délivrance de Webster, d’Errington et de Marco Dario.

Aussi autoritaire que si elle eût disposé d’un corps d’armée, elle commanda à ses sauveurs :

— Qu’un de vous demeure là, le fusil en joue, prêt à tirer au moindre mouvement, et que le reste de la troupe aille délivrer les prisonniers. Au galop, n’est-ce pas ? Faites le tour du donjon. C’est à gauche de l’entrée, un peu plus loin.

Le reste de la troupe, c’étaient Castor et Pollux, à moins que Saint-Quentin ne se joignît à eux, au cas où il jugerait à propos de laisser tout simplement allongé dans la meurtrière, et bien dirigé contre le bandit, son fusil, modèle 1870.

— Ils s’en vont, ils entrent… ils cherchent… se disait-elle, en essayant de suivre les enfants dans leur course.

Mais, peu à peu, elle le voyait bien, la figure de d’Estreicher se détendait. Il avait examiné le canon du fusil. Il avait entendu les pas menus des enfants, si différents du vacarme qu’eût fait une troupe de paysans. Bientôt elle ne douta plus que le bandit ne s’échappât avant l’arrivée des autres.

Il eut une dernière hésitation, puis rabattit ses bras en grinçant de fureur :

— Roulé ! dit-il. Ce sont les gosses, et le fusil n’est que de la vieille ferraille. Ah ! tu en as du culot !

— Dois-je tirer ?

— Allons donc ! Une femme de ton espèce tue pour se défendre, pas pour tuer. Me livrer à la justice ? Est-ce ça qui te rendra les diamants ? Je me ferais plutôt arracher la langue et brûler à petit feu que de lâcher le secret. Ils sont à moi. Je les prendrai quand ça me plaira.

— Un seul pas en avant, et je tire.

— D’accord, tu as gagné la partie. Je m’en vais.

Il tendit l’oreille.

— Les gosses bavardent là-bas. Ils ont trouvé Webster et compagnie. Le temps qu’ils les détachent, je serai loin. Au revoir… On se reverra.

— Non, dit-elle.

— Si. J’aurai le dernier mot. Les diamants d’abord. Les affaires de cœur après. J’ai eu tort de mêler les deux.

Elle secoua la tête.

— Vous n’aurez pas les diamants. Si je n’en étais pas sûre, est-ce que je vous laisserais partir ? Mais, je vous l’ai dit : vous êtes perdu.