Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’abrutissant dans des fêtes louches, la seconde en s’attachant aux péripéties d’une intrigue, la troisième en fixant le mirage des victoires intellectuelles, la quatrième en se mariant.

Et tout cela s’enchaînait avec une aisance charmante, comme les scènes d’une comédie bien charpentée dont il eût été l’auteur et le spectateur, mais à laquelle un autre personnage eût donné son jeu inimitable et son masque de fourbe. Il se bornait, lui, durant les intermèdes, à débrouiller les ficelles de la pièce et à s’ébahir des trucs et des roueries.

Il se demanda :

— Suis-je si malin que je le crois ? Mes artifices ne sont-ils pas d’une innocence ridicule ?… Bah ! ils le seraient encore davantage que j’en serais dupe, puisque je le veux. Celui qui ferme les yeux ne voit pas ce qui est cousu de fil blanc.

Il mit les mains dans ses poches et se promena en frappant du pied et en bombant la poitrine.

— Et puis, quoi ! je suis heureux, j’aurai beau me creuser la tête, ergoter sur les causes et sur la nature même de ce bonheur, il y a là un fait inattaquable : je suis heureux. Qu’est-ce que le bonheur ? Quelle en est la définition ? Quelle en est la preuve ? Je ne sais pas. Il est clair que ce n’est pas une chose visible et tangible comme ce livre ou cet encrier. Toujours est-il que je me sens heureux, et par conséquent que je suis heureux.

Il avait parlé à haute voix et dans le calme orgueilleux de sa conscience, l’écho des phrases résonna étrangement, comme une cloche qui rendrait des sons qu’elle n’a pas le droit de rendre.