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Tous ces faux-fuyants ne l’apaisaient pas. Il s’attristait comme un homme mis à l’écart, au ban de la société. Il aurait presque voulu souffrir. Et même il désira la sensation aiguë du remords. Il présentait sa poitrine à l’ennemi.

— Tiens, frappe, frappe, que je pleure et que je crie comme quiconque a péché.

Il répétait constamment, tâchant de bien se pénétrer de la signification des mots :

— J’ai tué mon père, j’ai tué mon père.

L’ignorance de sa femme l’irritait. La regardant, il se disait :

— Si elle savait que j’ai tué mon père, elle ne serait pas si calme. Nous sommes là, au coin du feu, elle brode, je fume, nous causons, il y a des milliers de couples analogues en apparence. Pourtant, si elle savait…

Une perversité morbide le poussait parfois à tout révéler. Il établissait la scène.

— Je poserais ma main sur sa main : « Écoute-moi. » — « Oui, mon ami, je t’écoute. » — « Eh bien, figure-toi, Louise, figure-toi que j’ai empoisonné mon père… »

Un peu de l’horreur qu’il lirait dans les yeux de sa femme passerait alors en lui, peut-être.

Sa propre indifférence le tourmentait comme attentatoire à la logique. Elle était aussi absurde que le serait l’insensibilité d’une chair interminablement fouillée par la lame d’un poignard. La raison exigeait que le crime produisît la mélancolie, la terreur, le désordre, le remords. Il allait donc contre la raison en étant insouciant et joyeux.