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Ainsi jamais il ne tenta d’analyser Mlle Altier. À quel idéal d’existence s’arrêtait-elle ? Quelle affection lui inspiraient son père, sa mère, Louise, les enfants, les pauvres qu’elle soignait ? Quels étaient ses goûts, ses idées, ses instincts ? Était-elle bonne, mauvaise, loyale, tendre, emportée ? Combien peu l’intéressaient toutes ces questions.

Non plus il ne s’occupait de ses désirs ou de ses fantaisies. Il n’eût pas cueilli une fleur dans l’espoir de la contenter. Il n’eût rien fait pour lui éviter un chagrin.

Mais — phénomène bien plus important — il entrait jusqu’au fond de cette âme. Et s’il en dédaignait les vaines manifestations, il en connaissait l’essence. Et contrairement à ses premiers jugements, il vit que c’était une âme d’harmonie. Ce mot la définissait merveilleusement. En l’articulant, Marc éprouvait une satisfaction.

Créature d’harmonie, elle se comportait toujours selon le sens vrai des événements, puérils ou graves. Et comme Marc se maintenait en hypocrisie, Bertrande l’avait offusqué dans la monotonie volontaire de son existence, dans le milieu de médiocrité et d’effacement qu’il s’était confectionné, comment n’eût-elle pas paru choquante avec son exubérance de fille saine et sa gaîté d’ingénue. Son rire franc sonnait ainsi qu’une cloche de joie dans un sépulcre. Sa gaminerie raillait la gravité morne des visages. Elle détonnait comme un être de jeunesse et d’ardeur lâché parmi un troupeau de vieillards qui broutent.