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— Rien n’est changé. Ma vie actuelle se continue selon les lignes de ma vie d’autrefois : mon état d’âme est analogue. Les mêmes instincts et les mêmes habitudes me dominent. J’étais heureux, je le suis.

Son allégresse pourtant, diminua. Il eut des moments d’ennui, puis de doute, dont pâtit sa femme, sur qui cette humeur retombait. Mais il ne l’importuna pas longtemps, car un besoin de solitude suivit, qui l’enfermait dans son bureau ou le chassait dehors.

Pour réagir contre cet abattement, il voulut mettre en ordre la mêlée de ses souvenirs. Il remonta jusqu’à sa dernière nuit au Prieuré.

— Voyons… rappelons-nous… Louise m’ouvre… J’entre… À sa vue, ma décision n’a pas faibli… non, j’affirme qu’elle n’a pas faibli… Même, des yeux, je cherche le revolver. Le canon en émerge d’un petit vide-poches pendu à la tête de son lit. Une veilleuse éclaire la pièce, Louise me dit : « Tu as l’air tout drôle ? » Moi, je lui réponds, — et cependant je n’avais pas oublié la phrase nécessaire, celle où je parlerais de l’homme dans la maison, non, — je réponds : « Figure-toi que j’ai une traite à payer ; je prends le train de Paris à la première heure. » Pourquoi ai-je dit cela ? Pourquoi a-t-il fallu que je dise cela et pas l’autre chose ? Pourquoi ne l’ai-je pas tuée, puisque je le voulais de toute ma volonté !

Il n’essayait nullement de résoudre ces questions, et les ténèbres s’épaississaient autour de lui.

Une fois, Louise prononça :