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mouvement, avec des êtres qui se débattent, des flammes qui se heurtent, des cris qui se mêlent, des gémissements, des coins de clarté paisible, des aurores et des extases. Il sait, maintenant. Il sait ! oui, Bertrande est la vie.

Elle est la vie douloureuse et gracieuse à la fois, séduisante et redoutable. Elle est la vie inaccessible aux profanes, incompréhensible à ceux qui la regardent de loin. Que de choses il entrevoyait déjà par elle, que de choses il eût apprises par elle, le mystère de mystères, notre raison d’être, ce que nous faisons, ce que nous avons à faire du berceau à la tombe.

Il a cherché le frisson de l’art et le frisson de la gloire, il n’a point cherché le frisson de la vie. Or c’est le seul qui importe. Il compense nos misères. Vivre est la grande ivresse. Rien ne vaut cela. Nous naissons pour vivre et combien meurent qui n’ont pas vécu. Tout notre effort doit tendre à sortir du néant. Manger, boire, marcher, parler, ne nous y aident pas. Ce sont attributs de la matière. Seul nous affranchit le miracle de la vie réelle. Seule nous élève l’émotion. Celui qui tremble devant un coucher de soleil ou qui pleure devant un haillon de pauvre s’anoblit davantage que la sœur de charité qui se dévoue par croyance.

Or, il est une issue pour aller vers Bertrande, vers la vie. Et cette issue, c’est Louise qui la garde. Il pourrait s’évader au prix d’un nouveau crime. Sa femme est là, sentinelle qu’il a placée lui-même. S’il la supprime il est libre.