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repentante. Indéfiniment, la scène revivrait en cauchemars et en hallucinations, avec ses plus infimes détails de cadre, d’heure, de relents et de bruits. Quel supplice infernal ! durant des années, jusqu’au tombeau, recommencer la lutte, entendre le grand cri de frayeur, sentir les doigts crispés du vieux, son effort, le raidissement de tous ses membres, puis la défaillance progressive ; percevoir les plaintes de l’agonie et les derniers râles, si tristes ! Et toujours le corps détruit s’affaisserait, loque lamentable, pourriture imminente. Et toujours en coulerait du sang, du sang qui dégoutte, qui s’étale en mare, qui s’allonge en serpent.

Il eut des remords. Il eut, d’avance, les remords qui le rongeraient un jour. Des fièvres le brûlèrent. Il prévit la folie, le suicide, en tout cas des tortures intolérables.

La menace du châtiment ne le préoccupait pas moins. Que d’indices le désigneraient aux soupçons ! Aurait-il l’adresse de les déjouer ? La meute de la justice, gendarmes, substituts, juges instructeurs s’acharneraient à sa perte. La cour d’assises ne lui déplaisait pas, sa solennité autorisant la noblesse des attitudes et l’emphase des réponses. Mais l’expiation, la cellule, le réveil, l’échafaud…

Malade, il dut s’aliter une semaine. Il se releva, rassuré. La commotion subie prouvait mieux que tout raisonnement combien l’acte lui répugnait.

Alors de douces rêveries l’envahirent. Supprimant la vilaine période d’attente, il s’accorda l’héritage paternel. Riche, que ferait-il ? Il bâtit des plans. L’un visait l’arrangement et la distribution d’un rez-de-chaussée à Paris ; un autre