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Un soir, le vieux s’endormit dans un fauteuil. La demie de huit heures retentit. Marc s’assit en face de lui, l’enveloppa d’un regard et songea :

— Il est huit heures trente-trois. À neuf heures, je veux que tu ne sois plus. Je veux cela, comme je veux être, moi. Je le veux.

Et tandis que le bruit des secondes piquait le silence, Marc voulut. Les veines de ses tempes se gonflaient sous une poussée prodigieuse. Son cœur battait puissamment. Ses ongles coupaient la paume de ses mains. De minute en minute, la tension croissait, jusqu’à la minute dernière où son être s’exaspéra en un effort surhumain. Neuf heures sonnèrent. La poitrine de M. Hélienne continua de s’enfler et de s’abaisser régulièrement. Marc en éprouva une sorte de déception.

Ainsi, peu à peu, comme pour se familiariser avec la possibilité d’une catastrophe où finirait son père, il en arrivait à attendre cette catastrophe de quelque miracle, d’un concours imprévu de circonstances, ou d’un effet pur de sa volonté. Certes, l’idée du crime ne l’obsédait plus. Elle ne revenait que sur son ordre et provoquait la même image terrifiante et la même révolte. Mais plutôt que le crime lui-même, n’était-ce pas l’acte qui lui répugnait ? Qu’un geste insignifiant fait à distance suffise pour tuer, ne savait-il pas qu’il l’eût fait sur-le-champ, et dix fois, et cent fois, comme une chose naturelle ?

Puérilement, car son esprit chavirait en cette tourmente, il regrettait de ne point connaître les formules magiques, les incantations, les exorcismes. Initié, il se fût appliqué au mystère des pou-