Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rébarbatifs et des silhouettes laides, Hélienne mangeait chez lui. La propriétaire, retenue dehors par son métier de blanchisseuse, ne rentrait que pour préparer et servir les repas. Son mari, horloger sur la place, ne se montrait jamais. Seule leur petite fille gardait la maison.

Or, un jour, la femme, souffrante, la chargea de mettre le couvert et de présenter les plats. Et la grâce de l’enfant surprit Marc.

Déjà, au cours de ses flâneries, il avait noté la tournure rythmique des filles du pays. Elles acquièrent, en portant des fardeaux sur la tête, malles ou pavés, une démarche élégante et des poses de statues antiques. Et l’on songe aux vierges païennes revenant du fleuve avec les lourdes amphores.

Mais aucune ne procédait par attitudes plus simples ni par gestes plus harmonieux. Trop accusé chez les autres, brutal, le balancement des hanches était onduleux et doux. Tout cela lui composait une distinction étrange.

Recourant à ses connaissances en italien, il s’enquit de son nom. Elle répondit :

— Aniella.

Il sut aussi son âge, quatorze ans. Elle souriait à ces questions et à la pantomime qu’il employait pour être compris. Ses petites dents luisaient entre d’épaisses lèvres. Les yeux, d’un bleu triste au repos, s’éclairaient de gaieté. Il aima l’ovale de sa figure encadré de cheveux noirs, dont les deux bandeaux se perdaient en un mouchoir rouge. Un fichu blanc, bariolé d’orange, lui cachait la taille. Et cette diversité de couleurs ne choquait pas.