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mulait ses mains sales sous son tablier. Et ce mécontentement se traduisait en mélancolie.

Marc s’égaya de cette physionomie mobile dont l’expression marquait un entêtement comique d’enfant gâté. La bouche surtout l’intéressait. Et, avant même d’entamer l’esquisse générale, il s’acharna après elle, tenta d’en dessiner les contours charnus, d’en peindre l’éclosion sanglante.

Mais il se rendit compte soudain qu’il ne travaillait plus. Les lèvres fraîches de la jeune fille l’attiraient en effet. Il les observait indéfiniment. Et il se dit :

— De quelle saveur ce serait de les baiser !

Il s’étonna de ce désir, n’ayant jusqu’ici considéré la petite que comme une enfant. Pourtant, à l’examiner, il la jugea femme, d’une précocité de fruit que le soleil a mûri plus vite. Elle semblait bien, en effet, un fruit du midi, à peau dorée, où les dents ont envie de mordre.

Cela le troubla de se savoir auprès d’une femme, seul. C’était la première fois depuis son départ de Paris et sa rupture avec Juliette. Ce rapprochement supprimant une période de son existence, il s’y complut, et de l’ombre, évoquées par le charme d’Aniella, surgirent les fantômes de celles qu’il avait possédées.

À la nuit, il congédia la jeune fille et ne s’en inquiéta plus. Son repas terminé, il sortit. De nouveau le hantèrent ses anciennes maîtresses, pâles modistes aux doigts abîmés, trotteuses du soir qui avaient assouvi sa faim. Mais leur laideur trouvait grâce devant lui, car elles représentaient dans la vie sa part d’amour.