Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

crainte, il promenait son désir sur le duvet des joues, sur la fossette du menton, sur les renflements du cou.

Il dessina le buste. L’indifférence que l’habitude impose aux peintres à l’égard de leurs modèles, et l’exaltation où l’art les hausse, ne le protégeaient pas contre la curiosité. Le mystère de la gorge l’intriguait. Que cachait la soie de ce fichu ? Il s’imaginait, en frémissant, la forme et la palpitation de cette jeune poitrine. Se trompait-il ? Que c’eût été délicieux de le savoir, en toute certitude !

Deux jours encore, il continua son esquisse. Ils se familiarisaient l’un avec l’autre. D’abord on s’efforçait de retrouver l’attitude exacte, et Aniella ne s’y entendait guère. Marc se plantait en face d’elle, lui saisissait les poignets et lui montrait l’inclinaison de la tête et l’effacement du profil. Souvent elle éclatait de rire aux contorsions du jeune homme. Il riait aussi, nerveusement, sans se déterminer à quitter ces bras dont la peau douce et tiède l’exaspérait.

Que de fois il se levait pour arranger tel pli disgracieux ! Alors il affectait de tâtonner. L’étoffe tombait-elle mieux de la sorte ou de celle-ci ? Il essayait les deux façons et ses doigts s’agaçaient à frôler le corsage, frêle obstacle qui le séparait de la chair convoitée…

Et le seizième jour arriva…


VI


Le seizième jour arriva.

Comme on se bouche les yeux de ses poings crispés, Marc, depuis des semaines, se bouchait le cerveau. Il l’enveloppait à dessein de ténèbres et de silence pour que la lumière des espaces