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de sa vie abominable et à ce qu’il franchît le seuil de cette pièce. Son passé de hontes lui barrait le chemin du bonheur, comme l’homme, à côté, lui interdisait la fuite. Et peu à peu, en son égarement, ces deux obstacles n’en formaient plus qu’un, tangible et vivant, la présence de cet individu, geôlier farouche, qu’il avait mérité par ses fautes et qui montait la garde devant sa cellule de condamné.

Une fièvre violente l’envahit, ses tempes vibraient sous un afflux de sang. Vaguement il entendait du bruit, un échange de paroles, des pas qui s’éloignaient. Il perdit connaissance.

Les soins de Juliette le tirèrent de cet évanouissement. Mais son cerveau restait engourdi, et des quelques actes qu’il accomplit, il ne conserva qu’un souvenir obscur. Comme en rêve, il insulta Juliette et, s’exaspérant au son de ses propres paroles, la battit et la poussa dans la chambre. Puis, longtemps, les poings serrés, la bouche pleine de salive, il contemplait le morceau de pain et la viande froide que sa maîtresse avait apportés. Et soudain, il se jetait sur les aliments et les avalait en hâte avec la voracité éperdue d’un chien qui vide une écuelle. Alors ses paupières se fermaient. Il s’assoupit une heure ou deux.

Au réveil il était dispos et lucide. Des brins de tabac traînaient dans un tiroir. Il en bourra sa pipe. La maison, la rue dormaient. Il se renversa sur une chaise, en appuyant le dossier au mur, et il regarda la lueur de la bougie.